samedi 25 octobre 2014

Comme un chien

Revenons à Patrick Modiano. Un pedigree est un récit autobiographique un peu particulier : court et peu détaillé, dans un style bref et concis, comme s'il l'avait écrit pour en finir au plus vite avec une vie qui n'était pas la sienne. Il a volontairement éliminé des souvenirs plus intimes pour ne garder que des moments qui lui sont étrangers, qu'on lui a imposés ou qu'il n'a pas compris.
Le phrasé et les thèmes sont tellement proches de ses romans que la distance entre fiction et biographie est floue. Certaines personnes rappellent étrangement des personnages de ses romans.
"Mais la vie continuait sans que l'on sût très bien pourquoi l'on se trouvait à tel moment avec certaines personnes plutôt qu'avec d'autres, à tel endroit plutôt qu'ailleurs, et si le film était une version originale ou une version doublée."
Il s'agit plutôt d'un récit en creux où il n'aurait rassemblé que les événements et les personnages troubles et mystérieux de sa vie, à commencer par ses parents qui semblent avoir davantage cherché à se débarrasser de lui que de lui apporter un quelconque soutien.
"Et de menus événements se succèdent et glissent sur vous sans y laisser beaucoup de traces. Vous avez l'impression de ne pas pouvoir vivre encore votre vraie vie, et d'être un passager clandestin. De cette vie en fraude, quelques bribes me reviennent."
Pas de cohérence ni de paradis perdu dans l'enfance de Modiano : il semble avoir erré comme un chien sans attache. Ces énigmes perpétuelles et ces épisodes en pointillés, voire contradictoires, ont créé un univers particulier qui a certainement inspiré toute son œuvre.
"Et les jours, les mois passent. Et les saisons. Quelquefois, je voudrais revenir en arrière et revivre toutes ces années mieux que je ne les ai vécues. Mais comment ?"
"Et toujours cette légère ivresse mêlée de somnolence, dans les rues de l'été, comme après une nuit blanche."
Enfin, son premier livre est accepté et le jeune homme qui a atteint sa majorité peut prendre sa vie en main.
"Ce soir-là, je m'étais senti léger pour la première fois de ma vie. La menace qui pesait sur moi pendant toutes ces années, me contraignant à être sans cesse sur le qui-vive, s'était dissipée dans l'air de Paris. J'avais pris le large avant que le ponton vermoulu ne s'écroule. Il était temps."
Éditions Gallimard, Collection Folio (n° 4377), 2006, 144 pages.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire