jeudi 31 mai 2012

Rapport sur Grégoire Bouillier

En cherchant un livre de Bouïda dans les rayonnages, je tombe sur la tranche noire de celui de Bouillier. Grégoire de son prénom. Jamais entendu parler et je tiens à partager ma découverte.
Le titre sent l'autobiographie : Rapport sur moi. Sur la quatrième de couverture, une seule phrase, drôlement fataliste : "Ce sont des choses qui arrivent. Grégoire Bouillier". L'incipit est : "J'ai vécu une enfance heureuse." Je ne sais pas pourquoi mais je sens que ça cache quelque chose, un deuxième degré, une faille. La suite me donne raison. C'est le point de vue distancié, sur le ton neutre d'un rapport plus ou moins officiel, sur une famille extravagante, invraisemblable et bien toquée. Cela donne un récit tragi-comique (surtout tragique), burlesque. Par exemple : "Ce n'est pas la première fois que ma mère tente de se suicider. Les trois derniers réveillons de Noël ont déjà été l'occasion de présenter nos vœux à Police-Secours."
En tout cas, un style et un récit prenants qui rebondissent de surprise en récurrence et en jeu de mots.

Éditions Allia, 2002, 160 pages.

dimanche 6 mai 2012

Vies minuscules et capitales

Dans Vies minuscules, Pierre Michon rend hommage à des personnes qui ont compté dans son histoire et celle de sa famille, parfois des légendes transmises oralement de génération en génération, notamment par sa grand-mère. Grâce à la littérature, ces courtes biographies redonnent vie à ces hommes et ces femmes souvent disparus, les font entrer dans la lumière et la grande légende, écrite, pour leur donner leurs lettres de noblesse. De minuscules, ils deviennent majuscules, en lettres capitales. Car Pierre Michon hisse ces humbles sur un piédestal avec un style très écrit, presque exagérément travaillé, en contraste avec la modestie des personnages : une véritable broderie sur des vies réelles. L'auteur noircit les pages et remplit les blancs des histoires, ne se cachant pas d'intervenir : "Imaginons encore une fois qu'il en fut comme je vais le dire" à propos de "Vie de la petite morte". Ne se cachant pas non plus de raconter sa propre histoire par intervalles et en transparence : "Mais parlant de lui, c'est de moi que je parle", dans "Vie d'André Dufourneau".
Hors de la famille, les disparus sont peut-être encore vivants, comme les frères Bakroot, camarades de préau, ou Marianne et Claudette, des ex-compagnes, qui ont réellement traversé sa vie (enfin, je le suppose). "Je l'ai déçue, Claudette, et c'est peu dire ; le dernier sentiment qu'elle eut pour moi, le dernier regard qu'elle me porta, fut de répulsion peut-être, de peur et de pitié mêlées. Elle a fui ce qui la dépossédait, et s'est peut-être retrouvée elle-même dans le cours des choses." Et à l'origine de ces disparus, son propre père, parti, alors que Pierre Michon n'avait que deux ans.
Enfin, comme socle des piédestaux, il y a les lieux et la terre, à travers leurs noms, Chatelus, Mourioux, Saint-Goussaud et surtout la ferme des Cards, dans la Creuse, où Pierre Michon est né et qu'il a reçue en héritage. C'est pour lui le tombeau des ancêtres auquel il redonne vie, sous la forme d'un musée ou d'un temple.
En dépassant sa vie de deuils, Pierre Michon en finit avec ce passé et transforme hommes et lieux en mythologies.

Éditions Gallimard, Collection Folio, première impression en 1984
256 pages.