vendredi 21 décembre 2012

Femmes de lettres

Deux romans épistolaires épatants !
84, Charing Cross Road est l'adresse de la librairie londonienne Marks & Co, où Helene Hanff, une scénariste new-yorkaise à la plume bien trempée, passionnée de littérature anglaise, commande des livres d'occasion. Une amitié nait de cette correspondance avec le libraire Frank Doel, qui dure vingt ans, à partir de la fin des années 40. Basé sur une correspondance réelle, le texte est malgré tout estampillé roman. C'est charmant.
L'autre roman, la vraie fiction, est le désormais célèbre Inconnu à cette adresse de Kathrine Kressmann Taylor, écrit en 1938 (d'abord publié sous le pseudo masculin Kressmann Taylor, sur le conseil de ses éditeurs qui trouvaient le texte trop fort pour être signé par une femme). Vraiment trop fort, en effet ! Le texte a été réédité dans les années 90. Il s'agit d'une correspondance fictive entre deux amis et associés : un Juif américain et un Allemand tendance nazi... Et comment, avec adresse, on passe des lettres au néant.
En évoquant ces échanges épistolaires, j'adresse un clin d'œil à mon amie Nadine avec qui je corresponds plusieurs fois par semaine, depuis plus de douze ans. Les mails ont remplacé les lettres et ont gagné en rapidité, sans rien perdre en intensité.    



mardi 18 décembre 2012

L'art d'en rire

Ah ! Tiens, j'ai oublié de parler de ce petit livre désopilant que m'a offert Myrtille : Les (vraies !) histoires de l'art, de Sylvain Coissard et Alexis Lemoine. Pas de texte, hormis les légendes. Que des images. Pas tout à fait des bandes-dessinées. En trois cases, trois temps et trois mouvements, vingt-trois chefs d'œuvre de la peinture sont revisités. Cela se passe de commentaires. Voyez plutôt la couverture qui propose une version décoiffante du Cri de Munch.
Après tout, c'est aussi le regardeur qui refait le tableau.

Éditions Palette, 2012, 14 x 24 cm, 48 pages.

dimanche 16 décembre 2012

Marseille est à la fête

Voilà un livre qui prouve que Marseille n'a pas usurpé son titre de capitale culturelle. Et la ville mérite bien ce pluriel mis entre parenthèses — jouant ainsi sur la pluralité et sur la Culture en général, avec capitale (!) — du titre de cet énorme (408 pages et près de 3 kg) et beau livre : Marseille Culture(s).
Les auteurs, Jean Contrucci et Gilles Rof, précisent en avant-propos que l'ouvrage
"ne se veut ni un catalogue, ni une anthologie, ni une étude exhaustive, ni un annuaire, ni un palmarès, ni un état des lieux..."
Alors, qu'est-ce que c'est ?
Un beau panorama des œuvres, événements ou artistes qui ont vécu, ou sont passés, à Marseille et ont marqué l'histoire de l'art, qu'il soit populaire, classique ou contemporain, car une belle place est offerte aux arts actuels.
Joli programme, bien valorisé. En effet, les auteurs ajoutent :
"L'esprit qui nous a guidé, et a guidé l'ensemble des très nombreux collaborateurs de cet ouvrage, se veut positif et allégé de tout combat de chapelles. Il salue l'initiative, l'envie, la puissance des créateurs qui habitent ou ont fréquenté cette ville. Il met en avant leurs idées et leurs réussites."
Et comme ils le disent si bien encore :
"La conclusion est rassurante. Qu'il s'agisse d'arts visuels ou de musiques, de théâtre ou de poésie, de cinéma ou d'architecture, de littérature ou de danse, la plus ancienne et la plus atypique des villes françaises aura toujours bénéficié de l'étonnante vitalité de ses créateurs, de ceux qui y ont puisé l'essentiel de leur inspiration, de ceux qui ont porté au loin sa renommée, ou encore de ceux venus d'ailleurs poser sur elle un regard fraternel ou critique, sachant que jamais, elle n'aura laissé quiconque indifférent."
Je vous rassure, je ne l'ai pas déjà lu en entier : c'est le genre de livre qui se feuillette, se picore, se déguste, se regarde plus attentivement, photo après illustration, peinture après portrait, et se lit par petits bouts, un entretien par-ci, une légende de photo par-là...
Un texte plein d'humour de Patrick Cauvin ouvre la fête, "Ma ville avec mes yeux d'enfant", d'autant plus touchant que ce fut le dernier de l'écrivain, à l'été 2010, juste avant de disparaître subitement.
Je termine cette chronique avec une de ses affirmations, dans l'esprit des galéjades :
"Alors, soyons objectifs : si quelqu'un vous demande ce qui est important à Marseille, la réponse à apporter est simple : tout." 

HC éditions, 2012, 408 pages.
Sur le site de l'éditeur, HC éditions, vous pouvez feuilleter quelques pages.

vendredi 14 décembre 2012

Un écrivain pas très catholique

C'est peu dire que l'écrivain José Saramago n'était pas très catholique. Ce Portugais, Prix Nobel de littérature en 1998, était très engagé à gauche. Après avoir fait scandale avec L'évangile selon Jésus-Christ, il en remet une couche avec son dernier roman : Caïn. Il y revisite les récits bibliques — à partir d'Adam et Ève, jusqu'à Noé, en passant par Moïse, Lilith et Abraham — et démonte, avec un humour caustique, les principes selon lesquels Dieu serait infiniment bon et miséricordieux.
Non seulement José Saramago défie Dieu et le prend en faute, mais il outrepasse les lois de la typographie et de la ponctuation : les majuscules servent à ponctuer ses longues phrases rythmées par des virgules, dialogues compris, et surtout pas pour les noms propres qui en sont dépourvus (Dieu est logé à la même enseigne). Preuve est faite que les règles ne servent qu'à être transgressées, pourvu que ce soit avec brio.
Le roman Caïn se termine par "L'histoire est terminée, il n'y aura rien d'autre à raconter". Un véritable point final à son œuvre, puisque José Saramago meurt en 2010, un an après sa publication.

PS : Annie, qui m'a prêté ce livre et me l'a vivement conseillé, trouve que je ne suis pas suffisamment dithyrambique dans cette chronique.
Donc, j'insiste : José Saramago est un auteur méconnu qui vaut la peine d'être lu.

Éditions du Seuil, 2011, 180 pages.

dimanche 9 décembre 2012

L'enfance Grimmée

Petite table, sois mise ! Drôle de titre pour un roman... C'est la formule magique du conte des frères Grimm qui permet à une petite table de se recouvrir aussitôt d'une nappe, de couverts et de plats fumants et bien garnis. Mais dans le roman d'Anne Serre, la table autour de laquelle se passent des choses étranges est immense, à la démesure de l'histoire orgiaque. Nous sommes donc dans l'univers du conte — contemporain, et pas vraiment pour les enfants — où les énormités sont de règle, surtout quand tout se dérègle.
Attention ! Cette histoire totalement incroyable risque de vous ensorceler et vous aspirer tout cru, ligoté aux 60 pages du livre impossible à lâcher ! Et le charme agira longtemps après.
Dans la maison de l'ogre, il y a une ogresse exaltée, envoûtée par le démon de l'amour, qui semble droit sortie du cabaret burlesque. Il y a trois filles dévergondées par les coups de braguette magique de leurs parents et des amis de leurs parents.... (ils ont l'inceste joyeux dans la famille, et pas égoïste). C'est la fête tous les jours, dans la joie, la bonne humeur (malgré le caractère irascible et brutal du père, mais on est un ogre ou on ne l'est pas) et le complet dérèglement des sens de la famille ! Sade n'est pas leur cousin, mais serait fier d'eux.
Malgré ce passé — que d'aucuns jugeraient monstrueux et traumatique —, la jeune narratrice raconte son histoire sans se départir de sa candeur et de sa gaîté. Mais finalement, le thème de ce roman pourrait être : comment la littérature vient aux filles. Car, s'il n'y a pas ce qu'on pourrait appeler une "morale", il y a bien une formule magique :
"Et je trouvai que tout était bien, que le monde traçait en riant des boucles, des volutes, qu'il suffisait — comme je l'avais toujours su, toujours cru — d'être extrêmement attentif pour que vivre vous procure une joie terrible, pour que se fabrique une œuvre d'art grâce à votre corps, à vos mains, à vos yeux, à votre pauvre cœur brisé."
Sublimez, sublimez, il en restera toujours quelque chose !

Éditions Verdier, 2012, 64 pages.

vendredi 7 décembre 2012

Pour faire le touriste éclairé à Marseille

2013 s'annonce comme l'année capitale de la culture à Marseille. J'ai deux livres à vous conseiller pour briller, sans bling-bling, dans les virées marseillaises ou dans les dîners du monde entier, car on voyage aussi en lisant et en restant chez soi.
Olivier Solinas invente le concept de "villosophie" pour parler de l'attachement à sa ville dans Promenades philosophiques dans Marseille. Ce professeur de philosophie, à l'esprit didactique, propose 35 lieux de balades, qui sont autant d'occasions de parler d'Histoire et d'histoires marseillaises que de philosophie. Ses invitations au voyage et aux expériences philosophiques nous transportent dans le temps et par l'esprit.
"Il y a toujours une raison au départ — car même fuir c'est espérer trouver mieux ailleurs — et toujours un espoir de revenir changé, avec quelque chose de plus, si tant est que revenir soit nécessaire. Bien sûr, les voyages sont aussi un moyen de réaliser des profits, pas seulement en termes d'intérêts économiques et commerciaux : on peut imaginer que par le voyage l'on se découvre, voire l'on se trouve. Le voyage est l'art de la transformation."
Une bibliographie bien fournie permet d'aller encore plus loin, dont ce guide truculent, savoureusement rédigé par l'écrivain François Thomazeau : Marseille insolite. Les trésors cachés de la cité phocéenne. 

Vous voilà armé (intellectuellement) pour venir apprécier la capitale de la culture en 2013 (et quand vous voudrez).

HC éditions, 2012, 224 pages.