lundi 30 décembre 2013

La grâce de Véronique Ovaldé

L'incipit de La grâce des brigands de Véronique Ovaldé est, tout simplement :
"Maria Cristina Väätonen, la vilaine sœur, adorait habiter à Santa Monica."
Avec ce nom venu d'ailleurs, ce mystérieux qualificatif et ce lieu californien, on a l'essentiel du roman. Dans les années 70, une femme devenue écrivain a rompu depuis longtemps les ponts avec sa famille. Elle l'a fui, alors qu'elle était encore mineure, étrangement encouragée par son père taciturne, pour se sauver d'une mère à moitié folle et d'une sœur qui l'est devenue. L'écriture et la lecture, pour Véronique Ovaldé, peut sauver des familles asphyxiantes et c'est ce qui a permis à Maria Cristina de survivre à son enfance. En contraste total avec les brumes du grand Nord où elle a grandi, elle roule en Mustang sur Mulholland Drive, comme dans un mythique paysage californien cinématographique. Or, le passé finit toujours par resurgir, comme on ne l'attend pas.
Il faut peut-être persévérer après les premières pages énigmatiques pour entrer dans les profondeurs de ce roman et se délecter de cette écriture si délicate. Gracieuse.

Éditions de l'Olivier, 2013, 288 pages.

Pour écouter sur France Culture La véridique et bienheureuse histoire de Georgia Lapoussette.

samedi 28 décembre 2013

Renaître à la vie

Pour ceux qui lisent en numérique, la nouvelle de Boris Pahor, Le berceau du monde, est disponible aux éditions StoryLab (spécialisées dans les formats courts, à lire en moins d'une heure).
L'écrivain slovène et centenaire — né à Trieste en 1913 — y raconte son retour des camps, en 1945 et en tenue rayée, à Lille. Cela passe par les premières sensations perçues en redécouvrant ce monde (d'où le titre de la nouvelle) auquel il faudra se réhabituer ou réapprendre après avoir tout perdu. Les moindres détails sont révélateurs, comme les attitudes des passants, le visage des femmes qui cherchent l'un des leurs parmi les rescapés, les vitrines de magasins ou le contact des draps dans un vrai lit :
"Et c'est grâce à cette toile immaculée qui lui offre un accueil franc, doux et engageant, que notre corps comprend en un éclair qu'il est sauvé."
Une phrase, prononcée par le narrateur, pourrait résumer toute l'œuvre de Boris Pahor :
"Nous devrons tout faire pour que le monde ne tire pas un rideau d'oubli sur ce qui s’est passé."
Éditions StoryLab, 2013, 45 mn de lecture.

vendredi 27 décembre 2013

Je me méfie des livres à succès

On me reproche parfois de ne dire que du bien des livres que je présente. 
Or, à quoi bon dire du mal sinon éviter des faux-pas ? Libre à chacun d'aimer ou pas.
Ce qui m'agace vraiment, c'est l'effet boule de neige : parce que certains livres se vendent, on pourrait croire qu'ils sont bons. Or, ils se vendent parfois pour de mauvaises raisons ou parce qu'ils ont fait l'objet de bons coups marketing.
Petite liste des livres à succès qui me sont tombés des mains et que je n'ai parfois même pas réussi à finir :
- Amélie Nothomb vend systématiquement tout ce qu'elle publie. Tant mieux pour elle. J'ai apprécié La nostalgie heureuse (voir ma chronique), mais Barbe bleue m'a barbée.
- Agnès Martin-Lugand a cartonné avec son roman Les Gens heureux lisent et boivent du café. Elle a surtout bien auto-géré ses ventes auto-éditées en numérique sur Internet avant que l'éditeur Michel Lafon flaire la bonne affaire. Les gens qui aiment la littérature boivent du thé ou du café et lisent autre chose.
- Romain Puértolas a une plume fantaisiste, mais son bagou fatigue à nous embarquer d'un pays à l'autre et d'un sujet à l'autre dans L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea. Certains y retrouveront l'humour des Marx Brothers. Moi, je suis tombée de l'armoire.

mercredi 25 décembre 2013

Alice au pays de l'escampette

Alice Munro, l'octogénaire canadienne anglophone, a reçu le prix Nobel de littérature en octobre dernier, alors qu'elle avait décidé, quelques mois auparavant, d'arrêter l'écriture.
Essentiellement nouvelliste, son œuvre comprend quatorze recueils et un seul roman avec, pour thèmes de prédilection, la condition humaine, les drames quotidiens, les relations entre parents et enfants, leurs secrets et leurs blessures.
Le plus souvent, les personnages principaux sont des femmes et les paysages sont ceux de l'Ontario. Malgré les descriptions minutieuses, les mystères et les interrogations persistent.
Dans Fugitives, un recueil de huit nouvelles, des femmes tentent ou réussissent à partir. Les portes de sorties cachent d'autres issues, des impasses, ou des ratages. À quoi veulent-elles échapper ? Que recherchent-elles ? Faire table rase du passé pour tout recommencer ? Le désir de se retrouver ? La fuite peut se réduire au mensonge, à la maladie ou à la résignation face au carcan conjugal, familial ou religieux.
L'écriture n'a-t-elle pas représenté, dans la vie de Munro, cette échappatoire nécessaire ?

Éditions de l'Olivier, 2008, 348 pages.

dimanche 15 décembre 2013

Tarantino à la marseillaise

Après le Bar de la Sidérurgie (voir ma chronique), Charles Gobi publie un deuxième roman jubilatoire : Chemin des Prud'hommes. Le cocktail est toujours aussi explosif, plein d'humour et de castagne. Même si on retrouve certains personnages du premier, il ne s'agit pas d'une suite, mais d'une collection, nommée PCPPP (Pratiques criminelles à la portée du petit peuple), ce qui donne une idée du genre. Un genre qui ne peut en aucun cas être policier puisqu'on ne voit pas l'ombre d'un uniforme, vu qu'on s'arrange entre soi... Il ne peut s'agir non plus de roman noir, malgré le nombre de cadavres, car mené avec trop de gaieté jusqu'à la "happy end".
En fait, le Chemin des prud'hommes est une adresse du quartier de Saint-Loup à Marseille, paisible et habitée par quelques voisins sympathiques et sans histoires... jusqu'à ce que des règlements de compte obligent des mafieux et des psychopathes à troubler la tranquillité des lieux. C'est sans compter sur l'ingéniosité de nos sympathiques voisins. S'enchaînent alors des scènes dignes d'un film de Tarantino : suspense, action, machinations, giclées de sang, explosions... Même si on devine d'avance qui va en prendre pour son grade, le suspense est total : on veut savoir comment le défi contre les méchants sera relevé. Les femmes ne sont pas en reste et prennent activement part au combat.
Côté bande son, on est bien à Marseille : en plus des dialogues truculents, on entend les cigales, le bruit des moteurs (mobylettes et autres voitures), des boules de pétanque qui s'entrechoquent, le sifflement des couteaux et la détonation des explosifs...
Et ce qui m'enthousiasme particulièrement dans les romans de Charles Gobi, c'est toujours cet esprit positif où l'amour et les relations humaines règnent. Réjouissant !

Et en plus, un livre autoédité, c'est super tendance...
Pour recevoir le livre, adressez un chèque de 17 € (15 € + 2 € de port) directement à : "Confort Numérique" - 63 rue François-Mauriac - 13010 Marseille.
Ou rendez-vous sur le site de Charles Gobi.
Pour ceux qui habitent Marseille, rendez-vous directement à la charmante boutique Marseille in the box, près du Vieux-Port : très exactement au 13, rue Reine Élisabeth, 13001.

* Chaque roman peut se lire indépendamment :
- Les Goudes, c'est de l'anglais...
- Hercules des Trois Ponts
- Bar de la sidérurgie- Il est pas con, ce con ?
- La grosse Janine.   

dimanche 8 décembre 2013

Son nom de Venise

L'ombre de Marguerite Duras se profile dans Seule Venise de Claudie Gallay. Pas seulement parce que la narratrice lit Le Barrage contre le Pacifique, sur les conseils du libraire Dino. Surtout par son écriture forte, simple et poétique, en petites touches justes.
Suite à une rupture amoureuse dont elle ne se remet pas, une Française vient loger à Venise dans une pension, quelques jours, quelques semaines. Dans le labyrinthe des ruelles, elle se laisse porter par le hasard et les rencontres, notamment ce libraire taciturne comme elle, mais aussi les hôtes de la pension, dont le patron, un jeune couple d'amoureux et un prince russe qui se dévoile peu à peu.
Il est question d'amour, qui se perd ou qui vacille, et aussi d'art, de littérature, de cinéma (Woody Allen est cité deux fois), de peinture. On croise le peintre Zoran Music qui vivait à Venise jusqu'à la fin de sa vie et qui a peut-être survécu des camps de la mort grâce à ses croquis. D'ailleurs, un des thèmes de ce roman serait la survie, grâce à l'art et les mots.
Venise (dont le nom Venitia serait dérivé du latin Veni etiam : reviens encore) est un personnage à part entière qui console, comme l'évoque le titre issu d'une phrase du livre : "Parce que seule Venise me console de ce que je suis vraiment". Et, ainsi réduit à ces deux mots, le titre renvoie aussi à la solitude, alors que la ville est, souvent, une destination prisée des amoureux et des multitudes de touristes.
Claudie Gallay connaît bien la ville et nous entraîne dans sa vie intime, de l'intérieur, et en hiver, une saison qui se prête idéalement à cette atmosphère mélancolique et profonde. Son style est comme ces musiques qui entrent droit au cœur, dont on ne se lasse pas et qu'on écouterait inlassablement.

Éditions Actes Sud, Collection Babel n° 725, 2006, 304 pages.

jeudi 5 décembre 2013

De l'actuel avec du très ancien

Une nouvelle version des aventures extraordinaires de Gilgamesh, La quête de l'immortalité vient de paraître aux éditions Synchronique, grâce à l'œuvre remarquable des traducteurs : Stephen Mitchell, pour la version anglaise, et Aurélien Clause, pour la version française.
Ce sont des aventures extraordinaires pour plusieurs raisons. D'abord, il s'agit du plus vieux roman de l'histoire de la littérature, un mythe fondateur des civilisations occidentales, donc un grand classique, qui nous vient de Mésopotamie. En effet, à la fin du XIXe siècle, des archéologues anglais redécouvrent dans l'antique ville assyrienne de Ninive (au sud de l'actuel Kurdistan), plusieurs tablettes cunéiformes retraçant l'épopée, au IVe millénaire avant notre ère, du roi légendaire d'Uruk.
Ces légendes sont également, en elles-mêmes, extraordinaires : prouesses, batailles, déluge... qui évoquent des thèmes universels tels que le pouvoir, l'amitié, la sexualité, la mort, etc. 
Rainer Maria Rilke considérait déjà ce texte  "comme l'une des meilleures choses pouvant arriver à quelqu'un."
À partir de différentes sources et traductions d'érudits, les traducteurs ont effectué un magnifique travail, sous forme de poème en alexandrins d'une grand fluidité : le texte se lit vraiment comme un roman d'aventures. Pour ceux qui veulent en savoir plus sur l'histoire dans l'Histoire : une introduction, des notes explicatives et une bibliographie replacent le récit dans son contexte historique et littéraire.
La lecture est d'autant plus émouvante que ces légendes sont arrivées jusqu'à nous, alors qu'elles ont été perdues pendant des siècles : elles étaient déjà connues par nos ancêtres, il y a plus de trois millénaires.

Éditions Synchronique, 2013, 248 pages.

jeudi 21 novembre 2013

Obsession fatale

La maison d'édition Au Diable Vauvert a eu l'excellente idée de rééditer le fameux roman de Elizabeth McNeill qui inspira le film au même titre :
9 Semaines ½.
Édité pour la première fois en 1978 aux États-Unis, il est présenté comme une histoire vraie et une réponse littéraire à 50 nuances de Grey, un best-seller qui ne ferait (je ne l'ai pas lu mais je peux aisément le croire) pas le poids question style.
En effet, sur un thème similaire — une passion extrême qui vire sado-maso — l'auteur (de son vrai nom Ingeborg Day comme le dévoile la préface) adopte une forme originale pour raconter comment, en seulement neuf semaines et demie, cette jeune femme brillante et indépendante le jour, tombe, la nuit, sous le charme puis la domination d'un séducteur tendance pervers narcissique ou vampire psychologique. Je trouve réducteur de cantonner ce livre au genre érotique car il s'agit avant tout d'une œuvre littéraire et du témoignage édifiant d'une perte de contrôle et d'une dépersonnalisation. L'aspect érotique, jamais vulgaire, ne semble en effet qu'illustrer le récit de cette relation dévorante.
Et il ne faut pas plus d'une soirée pour dévorer ce livre, tant il est captivant de bout en bout, servi par une écriture et une forme épatantes.
Reste à traduire et rééditer l'autobiographie de Ingeborg Day, Ghost Waltz, publiée en 1980.

Éditions Au Diable Vauvert, 2013, 200 pages. 

mercredi 6 novembre 2013

Le nouveau Kanyar arrive !

Le numéro 2 de la revue littéraire Kanyar sort officiellement le 13 novembre à la librairie La Friche, au 36 rue Léon Frot, Paris XIe (lire aussi ma chronique du n° 1).
Cette fois-ci, la couverture est signée par Conrad Botes, dessinateur sud-africain. Observez-la de près pour en découvrir toute la profondeur.
Au sommaire, retrouvez quelques auteurs du n° 1 (Cécile Antoir, Olivier Appollodorus, Emmanuel Genvrin, Emmanuel Gédouin, Xavier Marotte, André Pangrani, Pierre-Louis Rivière... et moi-même), et de nouveaux dont vous me direz des nouvelles, comme l'auteure espagnole Pilar Adón qui a obtenu de nombreux prix en Espagne.
Consultez le site Internet de la revue pour en savoir plus sur l'agenda, les auteurs, comment vous abonner (encore possible pour 2013 mais aussi pour 2014), trouver la revue en librairie et les réponses aux questions les plus fréquemment posées...
Soutenez Kanyar ! Lisez-le ! Offrez-le !

lundi 4 novembre 2013

Et au-delà ?

Stéphane Allix a vu son frère mourir après un accident de voiture. Depuis, il n'a de cesse de s'interroger sur la mort et la conscience, et sur ce qui peut se passer au-delà. Dans La mort n'est pas une terre étrangère, au fil du récit de son deuil, ce journaliste, reporter de guerre et grand voyageur raconte aussi son enquête de plusieurs années auprès de médecins et chercheurs (notamment sur les expériences de mort imminente et de sortie hors du corps), mais aussi de médiums occidentaux, chamanes amazoniens ou lamas tibétains... dont les savoirs sont si étonnamment proches.
Stéphane Allix a fondé l'INREES (Institut de recherche sur les expériences extraordinaires) dont l’objectif est d’aider à faire avancer les connaissances sur ces sujets méconnus, et souvent mal compris, à l'aide de chercheurs, médecins, psychologues, écrivains, cinéastes...
Une fenêtre entrouverte sur l'au-delà.

Éditions Albin Michel, 2011, 304 pages. 

Ce qui me fait penser à ce film de Clint Eastwood, Au-delà, qui évoque également, à travers les interrogations de ses personnages, ces phénomènes : expérience de mort imminente, deuil, contacts avec les défunts.
Si elle n'est pas une terre étrangère pour certains, la mort reste un mystère.


jeudi 17 octobre 2013

Voyage au pays d'Ozu

Dans la collection "Vert Paradis" des éditions Hermann, des auteurs écrivent sur le cinéma.
Jacques Laurans, dans Père éternel, commente et interprète librement le film Il était un père de Yasujiro Ozu. Le texte poétique et touchant suit le cours du film et recrée cette atmosphère particulière des films de Ozu — épurée, intime, nostalgique — où chaque chose est à sa place, où chaque plan est une composition parfaite. 
"À la sortie d'un film, il y a ce moment trouble, indécis, parfois proche du malaise. Nous le connaissons tous. Lorsqu'il nous faut revenir au monde, à la lumière du jour. Ce n'est pas exactement un réveil. Nous n'étions pas endormis. Mais plutôt comme la sortie d'un rêve, avec cet effort de conscience unique, très particulier qu'il faut entreprendre, et revivre, par le corps et la pensée.
Je dois maintenant quitter cette existence qui n'est pas la mienne ; abandonner ce vêtement trop grand qui trahit le personnage que je ne suis pas.
Dehors, la lumière toujours trop blanche, trop forte.
Je ne me sens pas réel."
 Éditions Hermann, Collection "Vert Paradis", 2013, 108 pages. 

mardi 15 octobre 2013

Retour au Japon

Parmi l'abondante bibliographie d'Amélie Nothomb, ce sont ses livres qui parlent du Japon que je préfère. La Nostalgie heureuse est son 22e roman et en fait partie. Il s'agit d'un retour au Japon à l'occasion d'un reportage pour la télévision (Amélie Nothomb, une vie entre deux eaux), d'où la notion très japonaise de nostalgie heureuse (natsukashii).
Les retrouvailles avec sa nourrice sont poignantes, celles avec son ex-chéri (lire Ni d’Ève ni d’Adam) sont plus drôles, surtout quand elle lui avoue qu'à l'époque où ils se fréquentaient, elle était folle et qu'elle se dit qu'elle l'est probablement encore. Cela se conçoit aisément à la lecture de Stupeur et tremblements qui laisse stupéfait et tremblant, justement, devant tant d'invraisemblances et de faux pas. On lui pardonne volontiers ses impairs puisqu'elle les admet si volontiers et n'hésite pas à se moquer d'elle-même (et parfois des autres), avec beaucoup d'humour.
L'incipit est une énigme : "Tout ce que l’on aime devient une fiction." Est-ce qu'on ne peut raconter la réalité ? Est-ce qu'on veut enjoliver ce que l'on aime ? Est-ce que la vie est un roman à partir du moment où on l'écrit ?
Quoi qu'il en soit, ce récit-roman se lit vite et avec grand plaisir.

Éditions Albin Michel, 2013, 162 pages.

mardi 24 septembre 2013

La femme est l'avenir de l'homme (entre autres)

Jean-Louis Servan-Schreiber, issu d'une famille de journalistes, est le patron de presse qui a créé L'Expansion puis dirigé, entre autres, Psychologies Magazine et actuellement Clés. Dans son essai Aimer (quand même) le XXIe siècle, il s'interroge sur notre visibilité du monde qui file à toute vitesse (son livre précédent s'intitulait Trop vite !). On croit gagner du temps, grâce aux nouvelles technologies, mais il n'est pas élastique et on le dépense ailleurs. Question de choix et peut-être d'absence de mode d'emploi.
Alors que les premiers chapitres me semblaient d'une grande évidence — peut-être aussi que j'adhérais tellement à ses réflexions qu'elles me semblaient aller de soi —, les derniers sont plus enrichissants et surtout optimistes. Commençant son essai par la question "Était-ce mieux avant ?", il conclut que notre siècle n'est pas si dégénéré : notre quête de sens et d'humain est accessible, pour peu qu'on pratique une certaine sagesse.
J'apprécie également qu'il reconnaisse le rôle des femmes :
"Notre siècle, j'en suis convaincu, voit s'établir la suprématie des femmes. C'est bien leur tour. Elles nous apportent, entre autres, une vision réaliste de l'existence, alors que les hommes étaient plus volontiers inspirés par l'héroïsme. On a vu le résultat. N'est-ce pas une femme, Germaine de Staël, qui a dit : "La gloire est le deuil éclatant du bonheur" ? À notre siècle, on pourrait même dire que le bonheur est le deuil allègre (ou soulagé) de la gloire. Les femmes sauront propager une nouvelle éthique qui prenne en compte le réel, plutôt que le vrai."
Quand même !

Éditions Albin Michel, 2012, 144 pages. 


Les pingouins de Xavier Gorce illustrent les différents chapitres.



lundi 23 septembre 2013

Rêve méditerranéen en noir et bleu

Une exposition au MuCem jusqu'au 4 janvier 2014 et son catalogue de 384 pages, co-édité par les éditions Textuel : Le Noir et le Bleu. Un rêve méditerranéen.
Le noir des guerres, de Beyrouth, Sarajevo, Alger ou Jérusalem, le noir de la mafia, le noir des tableaux de Goya...
Le bleu de la mer, du ciel, des voyages, des rêves, des grands formats de Miró...
Un tour d'horizon à travers les siècles, l'Histoire et la peinture.
En seconde partie, un abécédaire, composé par des auteurs, des chercheurs et des spécialistes de l’espace méditerranéen, met en évidence des imaginaires et des représentations de la Méditerranée, du XVIIIe siècle à nos jours.

Co-édition Textuel / Le Mucem, 2013, 384 pages.

dimanche 22 septembre 2013

Le théâtre de soi

Boris Cyrulnik, dans Sauve-toi, la vie t'appelle, revient sur ses souvenirs d'enfance et d'adolescence. Il y revient (lire aussi Je me souviens) car il se rend compte, en confrontant sa mémoire à celle des autres, à quel point nous pouvons nous arranger avec notre propre histoire. En bon psy, il nous explique pourquoi nos scénarios sont parfois un peu à côté de la réalité : pour donner cohérence à notre représentation du passé, surtout lorsqu'on ne peut pas tout comprendre, et supporter ses angoisses quand l'existence est folle. On peut aussi voir son passé autrement que ce qu'il a été lorsqu'on a suffisamment évolué et pris du recul.
"Faire le récit de sa vie, ce n'est pas du tout exposer un enchaînement d'événements, c'est organiser nos souvenirs afin de mettre de l'ordre dans la représentation de ce qui nous est arrivé et c'est, en même temps, modifier le monde mental de celui qui écoute. Le sentiment qu'on éprouve après un récit de soi dépend des réactions de l'autre : que va-t-il faire de ce que j'ai dit ? Va-t-il me tuer, me ridiculiser, m'aider ou m'admirer ? Celui qui se tait participe au récit de celui qui parle."
Parler ou se taire sur son passé dépend de l'écoute que l'on obtient et peut modifier le discours. Inversement, l'imagination est toujours empreinte de son expérience.
"Dans toute œuvre d'imagination, il y a un récit de soi. Dans toute autobiographie, il y a un remaniement imaginaire. La chimère nommée "Fiction" est sœur jumelle de "Récit de soi"."
En conclusion, Boris Cyrulnik s'étonne du livre qu'il vient d'écrire : une autobiographie qui devient une défense de la judéité alors que, dans sa vie quotidienne, ce sujet occupe peu son esprit.
"J'en ai conclu que toute mémoire, tout récit de soi est une représentation de son passé. Mais on n'invente pas à partir de rien, on ne peut rien raconter si l'on n'a rien vécu. Il faut du vrai pour fouiller dans sa mémoire et trouver de quoi en faire une représentation, au théâtre de soi."

Éditions Odile Jacob, 2012, 304 pages.

dimanche 15 septembre 2013

Jodorowsky, un artiste de la vie

Si je rencontrais Alejandro Jodorowsky dans la rue, je crois que je le saluerais comme une vieille connaissance, tant il m'inspire admiration et sympathie. Oui, il m'épate. Grand magicien de la réalité, il donne une dimension vraiment extraordinaire à tout ce qu'il touche : cinéma, théâtre, bandes dessinées, mais aussi tarot et psychologie !
Son autobiographie, La danse de la réalité, m'avait passionnée et j'avais hâte de voir son film éponyme.
Évidemment, dans un style poétique et surréaliste, c'est un concentré de sa façon de voir les choses : sa réflexion sur nos origines familiales, notre éducation, et comment on peut se remettre de nos traumatismes et construire notre vie.
Il a travaillé en famille sur ce film, notamment avec ses fils Brontis et Adan, en tant qu'acteurs ou compositeur. C'est magnifique ! Enfin, mon cinéma avertit ses spectateurs : "Des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité de certains spectateurs".
Jodorowsky ne fait pas forcément dans le joli et le merveilleux mais dans le réalisme, surtout lorsqu'on a été élevé à la dure par un père intransigeant et qu'on est originaire d'un pays où a sévi la dictature. Malgré ce monde de brutes, le vie peut être d'une grande douceur et pleine d'espoir.

Éditions Albin Michel, 2004, 416 pages.

dimanche 8 septembre 2013

Écrire et voyager sans quitter son fauteuil

D'une excursion dans le joli village perché de Brantes (Vaucluse), au-dessus de la vallée du Toulourenc et au pied du mont Ventoux, je rapporte ce petit livre au titre intriguant : Comment écrire un livre de voyage de Frederick Marryat (1792-1848). Il s'agit des conseils et techniques avisés pour écrire un récit de voyage... sans avoir à se déplacer ! Après tout, si on peut voyager en lisant, on peut aussi raconter un soi-disant voyage sans avoir à quitter son bureau. Il suffit d'un peu d'imagination. Écrit au début du XIXe siècle sous la forme d'un dialogue, ce texte court et plein d'humour n'a rien perdu de son réalisme. C'est ce qui redouble son intérêt.
Publié par les éditions du Sonneur, il fait partie de la Petite collection (au prix modique de 5 euros) dont on a envie de tout lire : Comment on se marie et Comment on meurt de Zola, Apologie pour le plagiat d'Anatole France, La Nièce de Flaubert de Willa Cather, La Tentation de la bicyclette de Edmondo de Amicis, Cahier pour Aline de Paul Gauguin...
Voyez plutôt le site des Éditions du Sonneur dont les objectifs sont :
- publier des textes inédits et des textes oubliés ou méconnus dignes de vivre ou de revivre, d’être découverts ou retrouvés.
- éditer peu de titres, mais les accompagner assez longtemps pour qu’ils trouvent leurs lecteurs. Des ouvrages auxquels on revient et avec lesquels on vit. Bref, le contraire de la surproduction et de la grande consommation littéraire.
- ajouter au plaisir de découvrir des textes celui de lire des livres fabriqués avec soin.
Objectifs atteints. Je confirme.

Éditions du Sonneur, La Petite Collection, 2013, 40 pages. 

jeudi 22 août 2013

Garder en vie, rester en vie

Le titre original est A wydow's story, l'histoire d'une veuve. Le sujet est clair. Le titre français est J'ai réussi à rester en vie, ce qui donne une idée de l'état d'esprit. Ce livre autobiographique de Joyce Carol Oates est le récit de son veuvage brutal après quarante-sept ans de mariage : son époux a été emporté par une maladie nosocomiale alors qu'il était entré à l'hôpital pour une simple pneumonie. Elle raconte l'incrédulité et l'état de choc qui suit la terrible nouvelle et la survie qu'il faut entamer, dans un hébétement total, pendant les premiers jours, puis les semaines et les mois suivants, interminablement. L'absurdité qui s'ajoute parfois à la situation déjà absurde : les requêtes administratives, les cadeaux de condoléances (la tradition américaine veut qu'on offre des paniers de victuailles de luxe), certaines réactions des autres... Heureusement, il reste l'amitié et la compréhension de certains proches qui aident à lutter contre l'anéantissement et la dépression.
Ce témoignage de Joyce Carol Oates est monumental par sa justesse et sa forme. Par exemple, des passages en italiques figurent des commentaires, comme en voix off, sur le statut de la veuve, tel un manuel pratique, non sans un certain humour malgré l'insoutenable souffrance.
"Nous sommes résolus à garder en vie ceux que nous aimons, nous désirons ardemment les protéger, leur épargner toute souffrance. Être mortel, c'est savoir que c'est impossible ; il nous faut pourtant essayer."
Éditions Philippe Rey, 2011, 480 pages. 

vendredi 9 août 2013

Le goût de la vie

Un grand malheur ôte la couleur et le goût de la vie. Les retrouve-t-on un jour tout à fait, quand rien n'est plus comme avant ? Combien de temps et de petites pincées de sel pour redonner du goût ? Combien de petits bonheurs et de petits riens pour panser une grande peine ?
Je me souviens des livres Les petits riens qui font du bien et qui ne coûtent rien et Les petits délices à partager d'Élisabeth Brami, illustrés par Philippe Bertrand, que j'avais offert à Savannah lorsqu'elle ne savait pas encore lire. Avec elle, nous nous régalions, sa mère et moi, de les relire sans fin tant ces petits plaisirs de la vie, d'enfant ou d'adulte, évoquaient pour nous des émotions et des souvenirs délicieux : sentir l'odeur du pain grillé le matin, se faire des boucles d'oreille avec des cerises doubles, attendre avec impatience une lettre ou un coup de fil...
Le principe du recueil Le sel de la vie de Françoise Héritier (plus connue comme anthropologue) est le même : une énumération de ces petits instants agréables, soi-disant sans importance, mais qui donnent ou redonnent du goût pour peu qu'on y prête attention. Les fous rires, les conversations à bâtons rompus, faire un gâteau pour régaler ses amis, prendre le café au soleil, se lever tôt en été puis faire la sieste, chercher des étoiles filantes dans le ciel, feuilleter des albums de photos...
"Le monde existe à travers nos sens avant d'exister de façon ordonnée dans notre pensée et il nous faut tout faire pour conserver au fil de l'existence cette faculté créatrice de sens : voir, écouter, observer, entendre, toucher, caresser, sentir, humer, goûter, avoir du "goût" pour tout, pour les autres, pour la vie."
"Il y a une forme de légèreté et de grâce dans le simple fait d'exister, au-delà des occupations, au-delà des sentiments forts, au-delà des engagements politiques et de tous ordres, et c'est uniquement de cela que j'ai voulu rendre compte. De ce petit plus qui nous est donné à tous : le sel de la vie."
Éditions Odile Jacob, 2012, 96 pages.

En tout cas, ces livres aident à apprécier le moment présent, à rechercher ces instants précieux qui, pincée après pincée, donnent ou redonnent un peu de sens et de goût à l'existence.



lundi 8 juillet 2013

Retrouvailles inédites

Des livres comme Les mots pour le dire, La clé sur la porte ou Une vie pour deux ont profondément marqué mes lectures d'adolescente. Je voulais tout lire de Marie Cardinal.
Et voilà que, douze ans après sa mort, ses filles et l'éditeur Annika Parance ont sélectionné des textes inédits, sobrement intitulés L'Inédit. Extraits de journaux intimes, de conversations, de notes pour des romans, de souvenirs... le tout forme un beau patchwork qui nous replonge dans les préoccupations de l'auteur : son attachement à l'Algérie, la condition des femmes, les rapports de couple, l'écriture, les enfants, la famille, la psychanalyse... en ajoutant une pierre à son œuvre.
Une agréable surprise qui fait revivre Marie Cardinal, preuve qu'elle ne nous a jamais vraiment quittés.

En couverture, son portrait par Robert Doisneau.

Grasset / Annika Parance éditeur, 2013, 256 pages.

mercredi 3 juillet 2013

Tout l'art de Yasmina Reza

Heureux les heureux. Le titre du roman de Yasmina Reza, ironique dans sa fatalité, donne le ton et semble poser les questions : comment peut-on être heureux et qui peut se prétendre heureux ?
Les chapitres de ce roman ont pour titre le prénom et le nom d'une personne, comme une série de portraits à travers des scènes de vie, des relations avec les autres. Les personnages se croisent : on finit par en retrouver certains, en lien direct, évoqués par d'autres ou présents dans d'autres scènes.
Le fil est parfois difficile à suivre entre eux, mais peu importe car le style réaliste est direct et prenant. Souvent grave, parfois comique. Il est beaucoup question des relations avec les autres : famille, amis, amants, maîtresses... mais aussi du temps qui passe — avec plus ou moins de bonheur, justement —, de la vie, de la maladie et de la mort... Certains auraient tout pour être heureux, mais que manque-t-il à leur bonheur ? Après quoi courent-ils ? À côté de quoi passent-ils ?
Petit exemple de rapports de la vie conjugale tendus entre Robert et Odile Toscano :
"— Je suis fatigué Odile... Éteins. Éteins bordel. Il se recroqueville sous les draps. J'essaie de lire. Je me demande si le mot fatigué dans la bouche de Robert n'aura pas contribué à nous éloigner plus que n'importe quoi. Je refuse de lui donner une signification existentielle. On accepte d'un héros de la littérature qu'il se retire dans la région des ombres, pas d'un mari avec qui on partage une vie domestique." 
Ces portraits pourraient se prolonger à l'infini, on les lirait avec autant de plaisir. C'est tout l'Art de Yasmina Reza.

Éditions Flammarion, 2013, 220 pages.

samedi 22 juin 2013

En 1919, sur l'île de La Réunion...

La Grippe Coloniale est une belle histoire dessinée en deux tomes — Le Retour d'Ulysse et Cyclone la Peste — qui s'appuie sur des faits historiques qui se sont déroulés sur l'île de La Réunion à l'issue de la Première guerre mondiale.
Le scénario, sensible et intelligent, est signé Appollo. Les dessins, à la fois très réalistes pour les décors et plus fantaisistes pour les personnages, sont de Serge Huo-Chao-Si.
L'histoire s'attache à celle de quatre soldats réunionnais rescapés qui rentrent chez eux et tentent de reprendre le cours de leur vie, mal en point, parfois défigurés... Ils ne sont pas vraiment accueillis en héros, d'autant qu'ils rapportent avec eux le virus de la grippe espagnole. L'épidémie décime la population, jusqu'ici épargnée par les conflits qui s'étaient déroulés loin de l'île. Les Réunionnais sont abandonnés à leur sort puisque les navires de ravitaillement n'accostent plus. Les cadavres s'entassent dans les rues. La situation est désespérée jusqu'à ce que...

Éditions Vents d'Ouest.

lundi 10 juin 2013

Heureuse qui comme Siri a fait un beau voyage

Ce qui est passionnant et pratique chez la brillante Siri Hustvedt, c'est qu'elle a lu une montagne de livres spécialisés, et souvent hermétiques pour les non initiés, dans des domaines qui n'ont généralement aucun pont entre eux (qu'elle compare à des îles pour experts happy few : neuroscience, psychiatrie, psychanalyse, linguistique, art, littérature, philosophie...) et qu'elle nous en propose la synthèse dans une série de textes à notre portée, bien écrits, avec cette intention de nous parler de ce qui la fascine dans notre rapport au monde. Elle part en excursion pour nous dans ces îles, isolées et peu accessibles, et nous rapporte ses comptes-rendus de voyages et impressions.
Vivre Penser Regarder sont les chapitres de cette compilation d'articles et de conférences que Siri Hustvedt a écrit sur ces sujets (déjà présents dans La femme qui tremble) : écriture, lecture, art, processus de création... et comment notre intériorité — l'énigme cerveau/esprit — réagit aux impacts du monde extérieur. Ainsi, écrit-elle dans le dernier chapitre :
"Je n'écris pas sur l'art pour l'expliquer mais afin d'explorer ce qui s'est passé entre moi et l'image, sur les deux plans de l'émotion et de l'intellect. Regarder, après tout, se fait toujours à la première personne".
Elle cite également Louise Bourgeois :
"L'art n'a pas l'art pour sujet. Le sujet de l'art, c'est la vie".
Éditions Actes Sud, 2013, 512 pages.

D'autres chroniques sur le cerveau :
- La femme qui tremble - Une histoire de mes nerfs de Siri Hustvedt
- 101 astuces pour mieux penser - Débloquez le potentiel de votre cerveau ! de Xavier Delengaigne
- Le cerveau peut-il faire deux choses à la fois ? de Fiamma Luzzati
- La femme qui prenait son mari pour un chapeau de Fiamma Luzzati
- Mon cerveau, ce héros - Mythes et réalités d'Elena Pasquinelli
- Peut-on manipuler notre cerveau ? de Christian Marendaz

samedi 8 juin 2013

L'humour noir, c'est noir

Comic Strip d'Arnaud Modat commence bien :
"Buster est un type sans concession. Il repose dans un coin retranché du cimetière, au milieu d'autres anonymes en rangs serrés".
Le ton est donné : humour noir et absurde, dans un monde où le comique est interdit et se monnaie au marché noir sur le trottoir, comme une passe, de préférence sur le boulevard Desproges.
La biographie de l'auteur est à la même sauce :
"Arnaud Modat est né à la fin des années 1970, à la frontière du funk et de la disco, mais à Douai. Il a failli être scorpion. Artiste polymorphe non rentable, flegmatique, confus, égocentrique et sportif atypique, il vit aujourd'hui à Strasbourg, considérant que le climat alsacien stimule sa créativité. Il écrit des nouvelles de manière très artisanale dès qu'il en a l'occasion, mais surtout quand il dort. Il aime aussi les échecs, marcher pieds nus sur le goudron chaud, distribuer des bouchons de vodka, le cheval d'arçon et Fanny. Il mourra probablement en 2054 (en février ou en juin, mais le huit), d'une intoxication au plomb, tout simplement".
Un tout petit livre des éditions StoryLab et Intervalles qui proposent également des récits numériques à lire en moins d'une heure sur son Smartphone ou sa tablette.

Éditions StoryLab, 2012, temps de lecture : 30 mn.

jeudi 6 juin 2013

Tout passe, sauf l'art

Par petites scènes, Gabriel Josipovici plante le décor et l'ambiance de Tout passe comme dans un court-métrage ou une pièce de théâtre. Première scène :
"Une pièce.
Il se tient à la fenêtre.
Et une voix dit : Tout passe. Le bien et le mal. La joie et la peine. Tout passe."
Félix, le personnage principal, évoque ses souvenirs entre des visites de son fils ou sa fille, avec qui la communication n'est pas franchement loquace. De temps en temps, le téléphone sonne. Parfois, il ne décroche pas. Parfois, il n'y a personne au bout du fil. Des souvenirs de conversations sur Rabelais, Dante ou Shakespeare, sur l'écriture et le rapport au public, ou de femmes qui ont traversé sa vie... La solitude, la rupture, la maladie, sur fond de Beethoven. On boit du thé ou du café. Un carreau de la fenêtre est fêlé : que représente cette fêlure ?
Un magnifique roman, aussi court que poétique.
Ce texte est traduit par Claro qui se dit "chasseur de trésors littéraires". C'est dire.

Quidam éditeur, 2012, 72 pages. 

* Lire aussi mes chroniques sur :
- Moo Pak ;
- Goldberg : Variations ;
- Infini - l'histoire d'un moment.

lundi 3 juin 2013

Je philosophe, donc je suis

Excellente idée que ces deux ouvrages de citations expliquées de Nietzsche et Spinoza par Marc Halévy ! (dans une collection qui compte déjà une douzaine de titres).
Après un court texte sur l'homme, son œuvre et ses idées, les 150 citations regroupées par thèmes se terminent par un épilogue sur l'auteur — Nietzsche ou Spinoza — et nous. Par petites touches, on entre ainsi dans l'œuvre de ces deux philosophes avec l'essentiel sur le contexte, les différentes interprétations et l'actualité du message.
Parmi les Citations de Nietzsche expliquées, on trouvera par exemple la célèbre citation "Ce qui ne me tue pas, me renforce" ou "Ce qui me bouleverse, ce n'est pas que tu m'aies menti, c'est que désormais, je ne pourrai plus te croire" et pour finir : "Deviens ce que tu es et fais ce que toi seul peut faire !", tout un programme de vie à adopter dès aujourd'hui. Marc Halévy en profite d'ailleurs pour nous inviter à une réflexion personnelle : "Lecteur, je laisse cette page blanche pour que vous y notiez ce que vous comptez faire, dès demain, pour le mettre en application..."
Un rappel de notre propre et entière responsabilité face à notre bonheur et notre destin.

Éditions Eyrolles, 2013.

mardi 21 mai 2013

Duras, c'est tout

Il y a longtemps que je voulais écrire une chronique sur Marguerite Duras. La lecture de La passion suspendue, un recueil d'entretiens avec Leopoldina Pallotta della Torre paru récemment, m'en donne l'occasion. L'histoire du livre est alambiquée puisque ces entretiens avec la journaliste italienne réalisés entre 1987 et 1989 n'avaient été publiés qu'en Italie. Introuvables, ils viennent d'être retraduits en français et annotés par René de Ceccatty.
On y retrouve intact l'esprit de Marguerite Duras à travers son franc-parler, son humour, ses emportements, ses angoisses... sur l'écriture, les hommes, les femmes, l'amour...
"Écrire, ce n'est pas raconter une histoire mais évoquer ce qui l'entoure, on crée autour de l'histoire un instant après l'autre. Tout ce qu'il y a, mais qui pourrait aussi ne pas y avoir, ou être interchangeable, comme les événements de la vie. L'histoire et son irréalité, ou son absence."
Et quand Leopoldina Pallotta della Torre lui demande : "Vous auriez envie d'indiquer un mode d'emploi pour "lire Duras" ? Elle répond :
"Une lecture non continue, qui aille par sauts, sauts de température, par rapport aux habitudes du lecteur. Contrairement à la linéarité du roman classique, balzacien, il s'agit de livres ouverts, inachevés, qui, en dernière instance, visent à un monde en devenir, qui ne cesse jamais de bouger."
Voilà, c'est bien elle.

Éditions du Seuil, 2013, 196 pages. 

dimanche 5 mai 2013

Je me souviens

Je me souviens de Sami Frey sur son vélo qui déclamait les souvenirs de Georges Perec.
Mais l'inventeur du procédé littéraire des Je me souviens est l'Américain Joe Brainard avec I Remember, puis I Remember more et More I Remember More, tous traduits et rassemblés dans un recueil chez Actes Sud. Une belle préface de Marie Chaix nous raconte toute l'histoire. Joe Brainard était l'ami de Harry Mathews, autre membre de l'Oulipo, qui fit connaître à Perec la formule magique où les souvenirs de l'un font écho à la mémoire collective. Et ce serait grâce à Paul Auster que l'original a été publié en France, chez son éditeur.
D'ailleurs, c'est grâce à Siri Hutsvedt dans La femme qui tremble que j'ai découvert I Remember car elle cite ce formidable exercice d'atelier d'écriture qui fait aussitôt remonter des souvenirs. 
Voici un extrait de ces fragments autobiographiques, plein d'humour, de nostalgie et sans complaisance, de Joe Brainard (page 17) :
"Je me souviens à quel point je bégayais.
Je me souviens, au lycée, comme je désirais être beau et aimé de tous.
Je me souviens qu'au lycée, si vous portiez du vert et du jaune le jeudi, cela voulait dire que vous étiez pédé.
Je me souviens quand, au lycée, je fourrais une chaussette en boule dans mon slip."
 Éditions Actes Sud, Collection Babel n° 519, 2002, 240 pages.

samedi 20 avril 2013

Kanyar vous raconte des histoires

Je n'arrive pas à trouver le bon angle pour parler de la revue Kanyar. Et pour cause : je suis très impliquée dedans. 
Donc, voici l'édito d'André Pangrani, directeur de publication :
"Kanyar est une nouvelle revue semestrielle indépendante qui compte promouvoir la création et la lecture de nouvelles, scénarios, récits, pièces de théâtre et autres poèmes d'auteur(e)s de l'île de La Réunion et du monde entier qui l'entoure.
Pour lancer cette aventure, des auteurs ont confié à la revue Kanyar des nouvelles, des récits ou encore des scénarios, tous inédits et surprenants, rassemblés dans un ouvrage de 208 pages et d’un beau format de 18 x 24 cm. 
Des rues du quartier du Chaudron à l’île de La Réunion à celles de Tuléar à Madagascar, des trottoirs de Salvador au Brésil à ceux de Dakar au Sénégal, d’une route nationale à l’autre, d’une plage de l’océan Indien à la Côte d’Azur, d’un sous-bois des bords de la mer Noire à la jungle entourant le fleuve Congo, Kanyar a l’ambition folle et modeste d’embrasser les singularités du monde, d’où qu’elles viennent et quelle que soit la langue dans laquelle elles souhaitent nous, vous, parler."

Au sommaire

Vous découvrirez, au sommaire de ce premier numéro de Kanyar, par ordre d’apparition : Tulé ! Tulé ! d’Emmanuel Genvrin - Double salto arrière de Pierre-Louis Rivière - Une île, immonde et Un galet dans le pare-brise d’André Pangrani - Plaid de Marie Martinez - Nationale 4 d’Emmanuel Gédouin - Dakar blues de David-Pierre Fila - La méthodologie du jeu d’acteur et Ulimina de Bertrand Mandico - Les garçons d’Edward Roux - Longing (Désir) en version bilingue (anglais-français) d’Elina Löwensohn - Le pouvoir de Cordélia de Xavier Marotte - Chambre verte de Cécile Antoir - Le Prophète et la Miss de l’Équateur d’Olivier Appollodorus (dit Appollo).
Et l'illustration de couverture est d'Emmanuel Brughera.

Le lien

Pour visiter le site de la revue Kanyar.

vendredi 19 avril 2013

Des mots sur les maux

La femme qui tremble - Une histoire de mes nerfs, de Siri Hustvedt, est un essai — ou une enquête, qui se lit comme un roman — sur l'univers de la neurologie, de la psychiatrie et de la psychanalyse. Prenant appui sur de nombreuses études scientifiques et œuvres philosophiques et littéraires, ainsi que sur des témoignages d'autres patients (elle anime notamment des ateliers d'écriture dans un hôpital psychiatrique), l'auteur s'interroge sur l'origine des phénomènes dont elle souffre : tremblements, migraines, hallucinations visuelles et auditives...
"A l'origine de ce livre, il y a une communication que j'ai prononcée au New York Presbyterian Hospital dans le cadre d'une série de conférences placées sous l'égide du Programme de médecine narrative de l'Université de Columbia. Rita Charon, directrice de ce programme, m'avait invitée à y prendre la parole. Le généreux enthousiasme dont elle a fait preuve quant au propos qui était le mien a joué pour ce livre le rôle d'un véritable catalyseur."
Un peu à la manière de son mari, Paul Auster, dans Chronique d'hiver (voir ma chronique), Siri Hustvedt écrit une sorte d'autobiographie vue sous l'angle des répercutions de causes psychologiques sur le physique et de la problématique cerveau/esprit.
Un livre indéfinissable mais passionnant.

Éditions Actes Sud, 2010, 256 pages. 

D'autres chroniques sur le cerveau :
- Vivre Penser Regarder de Siri Hustvedt
- 101 astuces pour mieux penser - Débloquez le potentiel de votre cerveau ! de Xavier Delengaigne
- Le cerveau peut-il faire deux choses à la fois ? de Fiamma Luzzati
- La femme qui prenait son mari pour un chapeau de Fiamma Luzzati
- Mon cerveau, ce héros - Mythes et réalités d'Elena Pasquinelli
- Peut-on manipuler notre cerveau ? de Christian Marendaz

samedi 13 avril 2013

Une adolescence universelle

Quarante ans après sa sortie aux États-Unis, Une adolescence américaine paraît pour la première fois en France. Joyce Maynard a dix-huit ans quand elle écrit cette Chronique des années 60 (sous-titre du livre). Malgré son jeune âge, son style est étonnant de maturité et de justesse dans les moindres détails d'un état qui se cherche (et qui demeure universel sur bien des points). Elle le dit elle-même dans sa préface :
"la qualité d'une histoire tient moins à l'exotisme de l'action et de l'intrigue, qu'à l'épaisseur des personnages, aux pouvoirs de pénétration et de description de l'auteur et à l'authenticité de sa voix."
C'est ce livre qui lui avait été commandé par le New York Times, pour développer un article paru dans ses colonnes et qui avait eu un grand retentissement sur les lecteurs et sur sa propre trajectoire, puisque dans l'abondant courrier qu'elle avait reçu, se trouvait une lettre de l'écrivain J.D. Salinger.
Vingt-cinq ans plus tard, dans la fin des années 90, elle approfondit cette autobiographie dans Et devant moi, le monde (voir ma chronique Se retourner sur sa vie) avec plus de recul et d'aplomb pour aborder des sujets trop sensibles pour son premier livre : sa lutte contre l'anorexie, l'alcoolisme de son père, sa relation avec Salinger...
"J'avais assez mûri pour comprendre que plus un écrivain est sincère, plus il fait confiance à la compassion du lecteur, et plus ce dernier, loin de le fuir, s'identifie à lui."
Éditions Philippe Rey, 2013, 192 pages.
L'éditeur Philippe Rey publie en même temps, ce mois d'avril 2013, Baby Love, un roman déjà paru en France chez Denoël en 1983. 

Une vidéo où Joyce Maynard parle de Une adolescence américaine lors de son passage à Paris, il y a quelques jours.

vendredi 12 avril 2013

Cocktail sidérant au bar de la sidérurgie

L'histoire de ce premier roman se passe autour du bar de la Sidérurgie, à Pont-de-Vivaux, un quartier de Marseille qui ne figure pas dans les guides touristiques, vu qu'il n'a rien de pittoresque, ou presque.
Ce qui est pittoresque dans ce Bar de la sidérurgie de Charles Gobi, ce sont les personnages, les situations, les rebondissements, et surtout les dialogues, les jeux de mots et l'humour !
Parmi les règlements de compte de la folie ordinaire à la sauce marseillaise, les parties de pétanque, notamment, sont jubilatoires. 
La quatrième de couverture donne un petit aperçu des ingrédients :
"Marseille
un quartier sans caractère
Un bar
René, son patron
Les habitués
Des gens ordinaires et inouïs
Des joueurs de cartes, des joueurs de boules
Un ex-curé humaniste et obsédé
Loule, homme au marteau, deux légionnaires retraités
Abd-el-Krim et sa bande
Armand, le reporter olympique
De pauvres pêcheurs
De belles femmes, des cadavres
et quelques malotrus
Secouez le tout
Quoique... ils sont déjà assez secoués comme ça."
Ce qui donne un excellent cocktail (à base de pastis ou de Molotov) à siroter, par exemple, à la terrasse d'un bar — de la Sidérurgie ou d'ailleurs — pour rire et vous laisser sidérer au fil des pages.

Pour recevoir le livre, adressez un chèque de 16 € (13 € + 3 € de port) directement à : "Confort Numérique" - 63 rue François-Mauriac - 13010 Marseille.
Ou bien rendez-vous sur le site de Charles Gobi pour commander directement.

* Chaque roman peut se lire indépendamment :
- Les Goudes, c'est de l'anglais...
- Hercules des Trois Ponts
- Chemin des Prud'hommes
- Il est pas con, ce con ?
- La grosse Janine.   

mercredi 3 avril 2013

Les tripes de l'architecte

Rudy Ricciotti ne mâche pas ses mots et ne les envoie pas dire : il parle avec ses tripes et pratique l'art de la rhétorique bétonnée. Son anti-politiquement correct est réjouissant à lire.
Dans L'architecture est un sport de combat, une conversation avec David d'Équainville, le titre annonce la couleur : il va y avoir du sport... et de la baston !
En effet, il n'hésite pas à tirer à boulets rouges, pas vraiment sur tout ce qui bouge, mais de préférence sur ceux qui ne bougent pas, justement, ou qui empêchent les autres de bouger. Certains en prennent pour leur grade. Il est connu pour sa grande gueule et le sait :
"Que ma gueule de métèque énerve, que mon accent méditerranéen horripile, je peux le concevoir, c'est la vie. On n'est pas tous obligés d'être socialement identiques, d'avoir les mêmes mots et les mêmes sourires. Dans la nature aussi il y a des différences, des lapins, des pigeons, des renards, des lézards. Que peut-on y faire ? Ce n'est pas grave. C'est la biodiversité. Et la biodiversité doit survivre ! Mais l'architecte assume toujours les responsabilités."
Car la vocation de cet homme n'est pas de détruire à coups de barre à mine, mais bien de construire : c'est un architecte qui défend son métier avec passion, ainsi que ceux des artisans du bâtiment et des ingénieurs avec qui il travaille.
"Le plus difficile, ce n'est pas de devenir architecte, c'est de le rester." 
"Un vrai parcours du combattant. Près de 70 % des architectes inscrits à l'ordre ne réussissent pas à vivre de leur travail."
"En 1930, il y avait cent mots pour décrire une façade. À l'aube du XXIe siècle, il en reste une dizaine. Si l'on a perdu les mots, on a perdu les signes associés. Et avec ces signes, les savoir-faire, ce qui fait de nous des analphabètes de l'art de construire."
Il défend également avec brio certains matériaux, comme le béton, auquel on trouve soudain un charme fou. Ou il s'insurge contre l'acier, qui n'est pas "aimable", ou contre les tuiles à tout va en Provence. Si le sujet n'était pas aussi sérieux et désolant, on aurait envie de rire, tant la formule vaut son pesant de caillasses :
"De tuile en tuile, insidieusement, on façonne une banalité écrasante, un paysage de mauvais jeux de mots, de cabanes à frites surgelées à réchauffer au micro-ondes avant indigestion."
J'en citerais encore des pages entières.
J'étais curieuse d'en savoir plus sur cet architecte qui a reçu le Grand Prix national de l'architecture et créé, entre autres, le fameux MuCEM à Marseille. Résultat : je ne suis pas déçue.

Éditions Textuel, 2013, 112 pages.

À Marseille, Rudy Ricciotti est l'architecte du MuCEM, au centre. 


mardi 2 avril 2013

L'hiver de la vie d'Auster

Paul Auster entre dans l'hiver de sa vie et nous parle à la deuxième personne du singulier : une façon singulière de nous interpeller alors qu'il ne parle que de lui. Sa Chronique d'hiver est donc une sorte de bilan autobiographique, physique et géographique, en énumérations lumineuses et libres sur les façons de se mouvoir, de souffrir, de jouir, d'habiter un corps et des lieux. Le temps passe et l'évocation de la mort n'est jamais loin : celle qu'il a lui-même frôlée, celle de ses parents qu'il a subie de plein fouet... Il raconte aussi son bonheur avec sa femme dont il semble s'étonner encore.
"À la lumière de tes échecs passés, de tes erreurs de jugement, de ton incapacité à te comprendre et à comprendre les autres, de tes décisions impulsives et incohérentes, de tes gaffes dans les affaires de cœur, il semble curieux que tu aies abouti à un mariage qui dure depuis aussi longtemps. Tu as tenté de démêler les raisons d'un revirement de fortune à ce point inattendu, sans jamais réussir à trouver de réponse. Un soir, tu as rencontré une inconnue et tu es tombé amoureux d'elle — et elle de toi. Tu ne le méritais pas, mais rien non plus ne s'opposait à ce que tu le mérites. C'est tout simplement arrivé, et rien ne peut rendre compte de ce qui t'est arrivé, sinon la chance."
J'aurais aimé que ce livre soit plus long, sans fin...

Une autre chronique sur les livres autobiographiques de Paul Auster : L'autre écrivain de la jubilation du hasard.

Éditions Actes Sud, 2014, Collection Babel n° 1274, 256 pages.

vendredi 29 mars 2013

Ne pas se dérober à La Dérobade

Les éditions Phébus ont réédité en 2007 ce livre choc paru en 1976 : La Dérobade de Jeanne Cordelier — un choc dû aussi bien au fond qu'à la forme. Dans un argot parfois fleuri et imagé, souvent brutal et réel, il raconte l'exploitation sexuelle, la peur au ventre, à la merci de la violence, pour un oui ou un non, au coin d'une rue à cause d'un regard mal interprété ou dans une chambre sans sonnette avec un dingue, sans parler des coups du maquereau.
Benoîte Groult ajoute une page, trente ans plus tard, à sa première préface, où elle affirme :
"Le récit de Jeanne Cordelier a tout juste trente ans. Il pourrait en avoir cent et avoir été écrit hier. Tant la douleur est éternelle et tant "l'espérance est violente" et tant le talent n'a pas d'âge. Comme pour mieux s'y résigner, on répète que la prostitution est le plus vieux métier du monde. Hélas ! c'est aussi le plus jeune."
Jeanne Cordelier précise dans la postface de cette dernière édition :
"les plus jeunes générations (...) ne doivent pas ignorer que parmi les horreurs dont l'homme est capable, la prostitution a sa place. Et laquelle ! Une place d'honneur depuis la nuit des temps. Combien de femmes en effet ont été sacrifiées sur son autel ? Des millions ! On ne parle jamais d'elles, ou si peu et si mal..."  
Voilà pourquoi c'est une lecture à laquelle il ne faut pas se dérober. Un témoignage éprouvant, mais d'utilité publique, car combien d'autres ne reviennent jamais de cet enfer ?

Éditions Phébus, 2007, 432 pages. 

mardi 26 mars 2013

Le festival qui dit son nom : Le chiant

Le concept est drôle et joue sur l'auto-dérision. Le Festival international du film chiant, ou Fific (mais l'acronyme est moins hilarant avec son air de nom de chien) ou carrément Le Chiant, a trouvé un excellent moyen pour faire parler de lui : son nom. Le festival international du film "exigeant" aurait moins fait le buzz, mais plaira tout autant aux cinéphiles avides de perles rares et anti-blockbusters.
En fait, voilà un festival qui demande à son public un petit effort pour des chefs d'œuvre un brin difficiles, qui présentent quelques handicaps commerciaux, qui poussent le bouchon du divertissement au-delà du basique, mais qui valent le coup qu'on s'y intéresse.
Comme le précise le site du festival, il s'agit de films qui ont le défaut d'être : muets, égocentriques, trop longs, courts, expérimentaux, amateurs, contemplatifs, lents, sociaux, art-vidéo, low-fi (son pourri), narratifs ou politiques... Espérons qu'ils ne cumulent pas plusieurs de ces critères comme le film de Apichatpong Weerasethakuln, Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, qui a reçu la Palme d'Or à Cannes en 2010 et à qui je décerne la Palme du film chiant. Ceci dit, par principe, j'admire Tim Burton qui a pris le risque de récompenser ce film insupportable, ne serait-ce que pour donner une chance à un cinéaste thaïlandais qui aurait pu tomber dans l'oubli (d'autant que son nom à lui ne marque pas facilement les esprits). Que celui qui a vu ce film, et ne s'est pas mortellement ennuyé, me laisse un commentaire. Mais je vous rassure, il n'est pas au programme de ce festival très sérieux mais qui ne prend pas au sérieux.
Côté pratique, vous trouverez sur le site du festival international du film chiant tous les détails de la programmation et des lieux, du 28 mars au 14 avril 2013 à Marseille, dans le cadre de Marseille 2013 Off.



mercredi 20 mars 2013

Surréalisme japonais

Quel étrange style que celui de Genichiro Takahashi ! Sayonara gangsters est son premier livre traduit en français, mais aussi son premier roman paru en 1982 au Japon, où il serait un auteur culte. Pendant un séjour en prison pour activités antigouvernementales alors qu'il était étudiant, il aurait subi des troubles du langage. Ses médecins l'aurait alors encouragé à écrire. Depuis, il est professeur d'Université et a publié une vingtaine de romans et essais.
Dans Sayonara gangsters, on rencontre des personnages et animaux surréalistes aux attitudes étonnantes et propos déconcertants. Le narrateur est professeur de poésie, d'un style très libre, et tente d'initier des élèves qui semblent tous arrivés dans sa classe par hasard.
Cela va paraître contradictoire mais cette liberté d'écriture débridée, pas toujours facile, fait plaisir à lire. On se croirait dans un rêve violent, poétique et sensuel.

Books éditions, 2013, 224 pages.

lundi 18 mars 2013

"Interdit aux Japs"

Ce serait une suite chronologique de Certaines n'avaient jamais vu la mer (lire la chronique correspondante), mais Julie Otsuka a écrit Quand l'empereur était un dieu, avant. C'est d'ailleurs son premier roman qui s'inspire de faits historiques et familiaux : la déportation de ses grands-parents en camps de concentration pour les citoyens américains d'origine japonaise, considérés comme suspects dès l'attaque de Pearl Harbor.
Le style est factuel, sans pathos : il décrit le quotidien d'une famille séparée (le père d'un côté, la mère et ses deux enfants de l'autre) qui se voient rejetés du jour au lendemain, sommés de partir sans savoir où, de quitter leur maison avec une valise et de se retrouver parqués dans un désert de l'Utah pendant trois ans et cinq mois. Après Hiroshima, ils ont le droit de revenir dans leur maison, dévastée, comme leurs vies, dans un climat hostile. Après la folie de la guerre, rien n'est plus pareil.
Encore d'autres ressortissants qui sont passés à côté du rêve américain.

Éditions Phébus, 2004, 192 pages.

mercredi 13 mars 2013

Les tortues marines racontées aux enfants

 
C'est pour faire découvrir sa passion de la nature et de la faune à ses enfants que Frédéric Presles a écrit les aventures de Trystan le conquérant et les tortues marines, qui sera suivi de cinq autres épisodes sur l'année 2013. Ce premier de la série s'adresse aux enfants de 7 à 77 mois, et plus, pour leur faire connaître la vie des tortues marines, de façon ludique et didactique. Les illustrations sont de Vincent Franchi. Le petit livre existe en version papier, joliment présenté dans une pochette en tissu et accompagné d'un film documentaire sur ces animaux marins. Il est également disponible en version numérique.
En effet, une nouvelle maison d'édition numérique a été créée fin 2012 par Frédéric Presles et Marianne Alivon : 1961 Digital Edition. L'objectif est de proposer des livres sur la nature et les animaux à prix abordable, mais aussi de rendre accessibles des titres épuisés, notamment des romans noirs d'auteurs marseillais comme Carrese, Scotto ou Thomazeau.

Pour en savoir plus sur cette maison d'édition, son catalogue et ses auteurs, et commander :
www.1961digitaledition.fr