mardi 21 mai 2013

Duras, c'est tout

Il y a longtemps que je voulais écrire une chronique sur Marguerite Duras. La lecture de La passion suspendue, un recueil d'entretiens avec Leopoldina Pallotta della Torre paru récemment, m'en donne l'occasion. L'histoire du livre est alambiquée puisque ces entretiens avec la journaliste italienne réalisés entre 1987 et 1989 n'avaient été publiés qu'en Italie. Introuvables, ils viennent d'être retraduits en français et annotés par René de Ceccatty.
On y retrouve intact l'esprit de Marguerite Duras à travers son franc-parler, son humour, ses emportements, ses angoisses... sur l'écriture, les hommes, les femmes, l'amour...
"Écrire, ce n'est pas raconter une histoire mais évoquer ce qui l'entoure, on crée autour de l'histoire un instant après l'autre. Tout ce qu'il y a, mais qui pourrait aussi ne pas y avoir, ou être interchangeable, comme les événements de la vie. L'histoire et son irréalité, ou son absence."
Et quand Leopoldina Pallotta della Torre lui demande : "Vous auriez envie d'indiquer un mode d'emploi pour "lire Duras" ? Elle répond :
"Une lecture non continue, qui aille par sauts, sauts de température, par rapport aux habitudes du lecteur. Contrairement à la linéarité du roman classique, balzacien, il s'agit de livres ouverts, inachevés, qui, en dernière instance, visent à un monde en devenir, qui ne cesse jamais de bouger."
Voilà, c'est bien elle.

Éditions du Seuil, 2013, 196 pages. 

dimanche 5 mai 2013

Je me souviens

Je me souviens de Sami Frey sur son vélo qui déclamait les souvenirs de Georges Perec.
Mais l'inventeur du procédé littéraire des Je me souviens est l'Américain Joe Brainard avec I Remember, puis I Remember more et More I Remember More, tous traduits et rassemblés dans un recueil chez Actes Sud. Une belle préface de Marie Chaix nous raconte toute l'histoire. Joe Brainard était l'ami de Harry Mathews, autre membre de l'Oulipo, qui fit connaître à Perec la formule magique où les souvenirs de l'un font écho à la mémoire collective. Et ce serait grâce à Paul Auster que l'original a été publié en France, chez son éditeur.
D'ailleurs, c'est grâce à Siri Hutsvedt dans La femme qui tremble que j'ai découvert I Remember car elle cite ce formidable exercice d'atelier d'écriture qui fait aussitôt remonter des souvenirs. 
Voici un extrait de ces fragments autobiographiques, plein d'humour, de nostalgie et sans complaisance, de Joe Brainard (page 17) :
"Je me souviens à quel point je bégayais.
Je me souviens, au lycée, comme je désirais être beau et aimé de tous.
Je me souviens qu'au lycée, si vous portiez du vert et du jaune le jeudi, cela voulait dire que vous étiez pédé.
Je me souviens quand, au lycée, je fourrais une chaussette en boule dans mon slip."
 Éditions Actes Sud, Collection Babel n° 519, 2002, 240 pages.