samedi 12 juillet 2014

Jungle Fever

Il faut beaucoup aimer les hommes, de Marie Darrieussecq, est une histoire de passion et d'attente jusqu'à l'insoutenable, de déroute et d'impasse. C'est un pléonasme de parler de passivité, d'obsession ou d'excessivité pour une passion. Quand on sait que le titre est extrait d'une phrase de Marguerite Duras, dans La Vie matérielle : "Il faut beaucoup aimer les hommes. Beaucoup, beaucoup. Beaucoup les aimer pour les aimer. Sans cela ce n'est pas possible, on ne peut pas les supporter", voilà qui donne le ton et inverse presque le sens de cette injonction.
La quatrième de couverture annonce brièvement et magistralement la couleur (si je puis dire) avec une question :
Une femme rencontre un homme. Coup de foudre. L'homme est noir, la femme est blanche. Et alors ?
Et alors ? La question de la couleur — et ses idées reçues sur les couples "mixtes", les Noirs et l'Afrique (dont le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar) —, est essentielle, derrière la fameuse Jungle fever (un terme péjoratif).
C'est l'histoire de ce coup de foudre, de cette rencontre d'une telle intensité qu'elle va changer la trajectoire d'une femme blanche, une actrice française qui vit à Hollywood, vers l'univers d'un homme noir et de sa grande idée, son grand projet : la réalisation du film Au cœur des ténèbres, en plein Congo.
Son obsession à lui, c'est le film ; son obsession à elle, c'est lui. Donc elle le suit au bout du monde. À l'instar de Apocalypse Now, on s'attend aux pires conditions de tournage dans la torpeur de la forêt africaine, qui sera finalement celle du Cameroun.
Le roman s'ordonne comme un film en DVD avec un générique, une fin (The End, comme on dit au cinéma) et des bonus, qui n'ont rien d'anodin. Le tout premier paragraphe ouvre la voie dans la forêt du livre :
"On prend la mer et on atteint un fleuve. On peut prendre un avion, je ne dis pas. Mais on atteint un fleuve et il faut entrer dans le fleuve. Parfois il y a un port, et des grues, des cargos, des marins. Et des lumières la nuit. Un port sur la part de delta habitable. Ensuite, il n'y a personne. Seulement des arbres, à mesure qu'on remonte le fleuve."
Éditions P.O.L, 2013, 320 pages.

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