vendredi 19 septembre 2014

Une clandestine dans son placard

Après avoir découvert Éric Faye avec son journal japonais, Malgré Fukushima, j'avais envie de lire d'autres ouvrages de cet auteur voyageur et curieux du Japon.
Nagasaki est un court roman qui a reçu le prix de l'Académie française en 2010. L'auteur s'est inspiré d'un fait divers qu'il a découvert dans la presse japonaise en 2008 : un homme finit par soupçonner que quelqu'un s'introduit chez lui en son absence. Pour en avoir le cœur net, il place une caméra pour surveiller sa cuisine à distance, de son bureau. Une silhouette féminine apparaît !
Au-delà du fait divers qui aurait pu se dérouler n'importe où ailleurs qu'à Nagasaki, Éric Faye imagine ce qui se passe dans l'esprit de l'homme (perturbé par cette intrusion, il ne se sent plus chez lui) et de la femme qui vivait clandestinement chez lui depuis un an : pourquoi et comment elle (en) est arrivée là.
Il part de cette histoire particulière pour développer une réflexion universelle sur la solitude, l'intimité, les lieux de l'enfance et ceux qu'on habite et qu'on partage parfois, l'imprévu qui surgit dans une vie apparemment sous contrôle.
Un roman aussi bref que sensible.

Éditions J'ai lu, 2011, 96 pages.

jeudi 18 septembre 2014

Passé recomposé

Jean Meckert (également connu sous divers pseudonymes, notamment Jean Amila comme auteur de nombreux polars) signait, avec Comme un écho errant, un roman autobiographique, inspiré de son expérience d'amnésie.
Suite à une agression, il perd une partie de sa mémoire et n'a que des images fugitives. De son travail d'auteur il ne garde rien, même en relisant ses propres livres. Il est même incapable d'écrire dans les premiers temps. Par contre, des souvenirs d'enfance sont plus vivaces et c'est l'occasion de revenir sur cette époque fondatrice et sa famille. Sa sœur s'emploie activement à lui rafraîchir son passé. Il évoque également sa mère suicidaire et son père fusillé à la guerre de 14 — un mystère qui cache un secret révélé en fin d'ouvrage.
Le roman avait été refusé par Gallimard en son temps car jugé trop hybride alors que c'est justement ce qui fait son intérêt : un livre exceptionnel, une tentative de recomposer le passé qui part en brioche avec une écriture râpeuse, directe et désemparée.

Éditions Joseph K., 2012, 192 pages.

samedi 6 septembre 2014

Hercules des Trois Ponts : et de trois !

Charles Gobi est de retour avec un troisième roman, Hercules des Trois Ponts, où l'on retrouve les personnages hauts en couleurs de ses deux romans précédents : Bar de la Sidérurgie et Chemin des Prud'hommes.
Comme dans les deux premiers, un quartier méconnu de Marseille est à l'honneur et des super méchants se font dézinguer par des quidams qui ne paient pas de mine mais qui, armés jusqu'aux dents, ne se laissent pas marcher sur les pieds. Les deux nouveaux héros sont Hercules, un géant des collines, et Esprit, un nain des cités, dont la rencontre improbable va créer un duo très attachant. 
J'ai comparé Charles Gobi à un Tarantino marseillais dans une précédente chronique et, cette fois-ci, je pense aux films de Leos Carax : parfois dérangeants quand on les découvre, mais dont l'univers hors du commun laisse une trace dans la mémoire pendant longtemps.
On retrouve surtout la plume de l'auteur qui n'a pas sa pareille pour faire l'article :
"C'est noir comme une pète de chèvre et entièrement écrit en marseillais authentique sauf quelques mots en roumain (eh oui). Vous n'êtes pas obligé de l'acheter mais d'un autre côté s'il y a un contrôle du ministère de la Culture et que vous ne l'avez pas on va se moquer de vous pendant plusieurs générations. Vous pensez oh ben je m'en tape, moi... Oui ben et vos gosses qui seront montrés du doigt au caté, vous allez leur expliquer ça comment ?
Bref, réfléchissez-y à deux fois.
Ce livre superbe avec la couverture en couleurs et les pages écrites des deux côtés vaut 15 € de rien du tout.15 € c'est le prix de 15 à 20 baguettes.
Que feriez-vous de tout ce pain ?"
Et ça ne mange pas de pain de le découvrir.
Le livre est disponible par correspondance sur le site de l'auteur qui s'auto-édite (où l'on peut également lire des extraits) ou, pour ceux qui peuvent s'y rendre, dans la boutique Marseille in the box, tout près du Vieux-Port à Marseille.

* Voir mes chroniques des autres livres du même acabit de Charles Gobi :
- Bar de la Sidérurgie
- Chemin des Prud'hommes
- Hercules des Trois-Ponts
- Les Goudes, c'est de l'anglais...
- La grosse Janine
- Il est pas con, ce con ?

vendredi 5 septembre 2014

Agatha Christie, sa vie est un roman (graphique)

La célébrissime femme de lettres anglaise a écrit plus de soixante romans, cent cinquante nouvelles, une vingtaine de pièces de théâtre et deux autobiographies... car sa vie pleine d'aventures et de mésaventures est romanesque à souhait.
Un sujet rêvé pour les spécialistes de la littérature anglo-saxonne ou criminelle que sont les deux scénaristes, Anne Martinetti et Guillaume Lebeau, du roman graphique Agatha, La vraie vie d'Agatha Christie, dessiné par Alexandre Franc.
Le livre commence sur la mystérieuse disparition de la romancière qui a défrayé la chronique en son temps et qu'elle avait probablement elle-même mise en scène pour se venger de son mari volage (prétextant ensuite une perte de mémoire pour ne pas avouer). Le scénario revient ensuite sur les événements essentiels de sa vie : son enfance, ses débuts dans l'écriture, ses voyages, ses relations avec son mari, sa fille, son deuxième mariage, ses succès...
Agatha vit avec ses personnages de roman, notamment Hercule Poirot, qui vient la hanter dans ses moments de solitude et de réflexion.
Et dire qu'elle a commencé à écrire pour gagner un pari avec sa sœur !

Éditions Marabout, Collection Marabulles, 2014, 124 pages.

mercredi 3 septembre 2014

De Marcel à Proust

Comment Marcel devient Proust - Enquête sur l'énigme de la créativité est un essai passionnant qui réjouira les lecteurs de La recherche.
Thierry Marchaisse nous éclaire sur la construction sous-jacente de l'œuvre et son aspect philosophique et dogmatique.
En effet, d'après sa correspondance, Proust avait, dès le départ, une idée précise de la structure de son œuvre mais s'est sans cesse efforcé d'en gommer tous les signes, dressant même des paravents pour mieux la cacher au fil de l'œuvre.
Pour mieux nous révéler cette dimension cachée, Thierry Marchaisse use d'outils modernes, comme la figure de Joseph Jastrow (qui représente à la fois un lapin et un canard selon comment on la regarde) ou le ruban de Möbius. Il attire également notre attention sur ce qui a déclenché l'écriture chez Proust (le passage à l'acte après la procrastination du narrateur) et comment il s'y prend.
Il résume La Recherche en ces termes :
"Où l'on apprend comment le narrateur de cette œuvre est devenu son auteur et surtout comment, en démontrant par là même une vérité philosophique majeure, il a réalisé ainsi, contre toute attente, le rêve de sa vie comme la nature de sa vocation."
Et encore plus simplement en quatre mots : Comment Marcel devient Proust.

Éditions Epel, 2009, 130 pages.