lundi 30 mars 2015

Chez Grégoire Bouillier, tout est littérature

Rapport sur moi m'avait tellement frappée (voir ma chronique) qu'il fallait qu'un jour ou l'autre je poursuive ma lecture de Grégoire Bouillier.
Pour l'instant, son œuvre se résume à deux autres titres : L'invité mystère et Cap Canaveral. Ce qui donne une trilogie en trois chocs et défis littéraires. Du coup, on peut comprendre qu'il n'écrive pas davantage, ce qui est quand même dommage.
Autant dans L'invité mystère les phrases sont interminablement et délicieusement proustiennes, comme les volutes du fil de la pensée, autant dans Cap Canaveral elles sont réduites à leur plus stricte utilité, le souffle court, et à la deuxième personne du singulier (qui équivaut à la première mais crée une autre dimension, subtile, pourtant intérieure).
Comme si Grégoire Bouillier vivait une nouvelle expérience littéraire à chaque texte, sans creuser un sillon mais en explorant des voies nouvelles, son style est chaque fois différent, et n'a rien à voir non plus avec celui de Rapport sur moi, plus distancié, mais où le rapport à l'écriture, au langage, aux mots est aussi crucial.
Les trois livres ont en commun cette présence forte de la littérature et de son influence dans notre vie — en tout cas dans ces histoires, ce qui les rend prodigieusement puissantes. Ce que Grégoire Bouillier raconte dans ses livres est tellement dingue qu'on a du mal à croire qu'il ne s'agisse pas de pure fiction. Réalité ou pas, peu importe : pour lui, tout est littérature.
Dans L'invité mystère, il est question de Michel Leiris, et surtout de Mrs Dalloway de Virginia Woolf qui va permettre de faire la lumière sur l'énigme d'une rupture dont l'anniversaire-rituel de Sophie Calle n'est au départ qu'un prétexte à la quête de sens (en dépit de la fatalité des sous-pulls à col roulé et autres obsessions du narrateur).
... "et je songeai alors que le véritable invité mystère n'avait nullement été moi, mais ce roman anglais écrit dans les années 1920 qui s'était introduit en douce dans son existence pour en changer le cours, et le mien par voie de conséquence, et depuis toujours n'était-ce d'ailleurs pas la littérature qui s'invitait mystérieusement dans l'histoire des hommes et l'on croit penser à tout et on oublie le livre posé sur la table de nuit."
Dans Cap Canaveral, le mystère et le secret sont également liés à un autre livre, pas n'importe lequel, mais je n'en dirai pas davantage. La boucle de la trilogie se referme.
Pour l'anecdote, la photo de couverture est signée Sophie Calle (autre lien avec L'invité mystère ; et soit dit en passant l'œuvre de cette dernière, Prenez soin de vous, est également liée à Grégoire Bouillier : étourdissant !).
Je m'interroge sur le titre Cap Canaveral sans lien avec le contenu du livre : peut-être une analogie avec la sonde Ulysse et le héros de L'Odyssée, présents dans L'invité mystère, également liés à Ulysse de Joyce dans Rapport sur moi.
Et toujours cette troublante interaction entre réalité, altérité et œuvre littéraire.

Tous les livres de Grégoire Bouillier sont édités aux éditions Allia.


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