vendredi 29 juillet 2016

La force des faibles

Premier ouvrage d'Alexandre Jollien, Éloge de la faiblesse est un dialogue fictif (évidemment) entre le jeune philosophe et le vieux maître Socrate. En plus d'une initiation à la philosophie, il s'agit surtout d'une autobiographie car Alexandre y décrit son parcours : handicapé de naissance, il passe dix-sept années passées en institution spécialisée à lutter — dans l'enthousiasme, malgré la séparation avec les parents — pour atteindre une certaine "normalité". Mais lorsqu'il intègre une formation traditionnelle, il se rend compte du fossé qui le sépare des autres : un choc culturel. Son humour le sauve : il bénéficiera toujours de solides amitiés. Après une école de commerce, il découvre la philosophie en feuillant un livre de Platon dans une librairie et décide de l'étudier.
Je dis simplement qu'il faut tout mettre en œuvre pour parvenir à tirer profit, même de la situation la plus destructrice. j'insiste sur les épreuves parce que celles-ci restent inévitables. Rien ne sert de discourir, d'épiloguer des heures durant sur la souffrance. Il faut trouver des moyens pour l'éliminer et, si on ne le peut pas, l'accepter, lui donner sens.
Et parmi les sujets abordés : donner sens à la réalité, la justesse des vraies tendresses, assumer notre condition, se nourrir de sa faiblesse, la pitié anesthésiante, le regard des autres, la joie d'exister...
La philosophie comme art de vivre meilleur et de dépassement de ses faiblesses. 

Éditions Marabout, 2013, 96 pages.

mercredi 20 juillet 2016

Quand le silence tue

Un bandeau qui joue sur les mots.
Je me suis tue est le premier roman, réussi et prenant, de Mathieu Menegaux. Il se lit d'une traite, servi par un style énergique, une série de rebondissements et un suspense inouï.
Le sujet est poignant : une femme — belle, forte, intelligente — se confie par écrit, après avoir longtemps gardé le silence sur l'engrenage infernal dans lequel elle s'est fait piégée.
Quel crime a-t-elle commis ? De quoi ou de qui est-elle la victime ? Pourquoi s'est-elle tue pendant si longtemps ? Pourquoi avoue-t-elle enfin ?
Un dernier rebondissement, dévoilé à la fin, l'exhorte à faire éclater enfin toute la vérité sur les circonstances et la cause de son geste, alors qu'elle est incarcérée et qu'elle attend son jugement.
Il est question du contrôle de l'image de soi, du poids du secret et de la société, et de questions taboues comme le viol, l'avortement, l'absence de maternité... autant de sujets qui touchent particulièrement les femmes mais que Mathieu Menegaux traite admirablement.
Le Prix littéraire du silence n'existe pas, bien sûr. En revanche, Je me suis tue a reçu le Prix du premier roman de la journée de Sablet 2016.

Éditions Grasset, 2016, 192 pages.

lundi 18 juillet 2016

Emmanuel Genvrin : "Jimi, c'est moi".

Emmanuel Genvrin a fondé le Théâtre Vollard en 1979 à l'île de La Réunion. Il compte à son actif une vingtaine de pièces de théâtre, une multitude de chansons, trois livrets d'opéras et quelques nouvelles parues dans la revue Kanyar. Son premier roman, Rock Sakay, paraîtra à la rentrée chez Gallimard. L'occasion de se pencher sur son parcours d'auteur, populaire et engagé. 


Marie M. : Quelles sont les constantes de ton œuvre ?
Emmanuel Genvrin : Je joue la petite histoire dans la grande. L'intrigue s'insère dans un fond historique et politique, parce que je pense que l'individu, pour être un bon citoyen, doit connaître son histoire et en tirer les leçons. Comme je vis à La Réunion, la plupart des thèmes traitent de l'histoire de cette île et des effets pervers du colonialisme dans les DOM-TOM. De plus, quand j'ai fondé Vollard en 1979, l'histoire locale était totalement négligée. J'ai pensé que mon rôle, en tant qu'auteur, était de mettre à disposition certaines clés. Comme autres constantes, on retrouve des histoires d'amour, de l'humour, du fantastique, de la violence et, si j'étais freudien, des rapports problématiques avec la mère...

MM : À quel public t'adresses-tu ?
EG : Au Théâtre Vollard, nous n'avions pas droit à l'erreur, donc, par choix ou par nécessité, nous étions dans l'obligation d'avoir du succès puisque nous étions, les trois quarts du temps, en bisbille avec les autorités culturelles "officielles". Je pratiquais un théâtre populaire dans le sens de Jean Vilar, c'est-à-dire pour tous. Avec l'opéra, j'ai pensé que mes relations avec le pouvoir changeraient, mais ce ne fut pas le cas. Je suis donc condamné à la rébellion ! Je n'écris pas pour une quelconque élite, je m'adresse à tout le monde. Rock Sakay est un roman d'apprentissage, exotique et populaire, qui fait voyager. C'est un road movie avec beaucoup d'action.


MM : Après le théâtre et l'opéra, pourquoi être passé à l'écriture romanesque ?
EG : Je n'avais plus les moyens de faire du théâtre, ni de l'opéra à temps plein. Notre ami André Pangrani a créé la revue littéraire Kanyar et je me suis mis à écrire des nouvelles, un format qui me convient, avec la densité obligée, le point de vue unique et peu d'introspection. Au départ, Rock Sakay était une nouvelle. Je me suis rendu compte que j'avais beaucoup à dire. De fil en aiguille, c'est devenu un roman, plus précisément un roman-feuilleton puisque chaque chapitre a un titre propre et peut être publié indépendamment. Je l'ai d'ailleurs proposé aux journaux réunionnais, qui n'en n'ont pas voulu. J'ai réintroduit les éléments romanesques, notamment de la psychologie, bien que je n'aime pas les personnages dans le pathos et l'introspection. Je suis pudique par nature et je préfère l'action.

MM : Dans Rock Sakay, il est bien sûr question de rock. La musique a une grande place dans ton œuvre, même avant l'opéra, grâce au concours du compositeur Jean-Luc Trulès.
EG : En effet, d'ailleurs j'ai aussi écrit des chansons toute ma vie. Finalement dans l'écriture c'est la musique des mots et le rythme qui m'intéressent : il faut que ça coule, que ça groove, que le texte puisse être dit. si j'écris vite — deux mois et demi pour le premier jet de Rock Sakay — afin de capter l'élan, l'unité de style et d'énergie, je passe un temps fou à relire et peaufiner. Mais ce travail final est un plaisir pour moi.

MM : Qu'est-ce qui t'a inspiré dans le thème de Rock Sakay ?
EG : Rock Sakay, à l'origine, était un projet d'opéra car c'est un thème riche musicalement, pouvant toucher à la fois La Réunion, Madagascar et la France métropolitaine. Mais comme nous avions déjà du mal, avec Jean-Luc Trulès, à réaliser Fridom, notre troisième opéra, je n'allais pas me lancer dans un nouveau projet... Finalement, ce thème parle de notre parcours, de nos rencontres, de nos voyages... Le personnage principal, Jimi, est un prétexte pour transposer ma vie et mes expériences.

MM : À la manière de Flaubert, tu pourrais dire : "Jimi, c'est moi". 
EG : Exactement ! Mais de façon transposée, bien sûr, car Jimi ressemble plutôt musicalement à Jean-Luc Trulès et physiquement à son fils Tom, car je ne suis pas noir ! Je n'ai pas été héroïnomane, non plus. Mais pour le reste, on va dire que c'est moi.

Lire aussi :
- la chronique de Rock Sakay.
- la page de Rock Sakay sur le site de Gallimard.
- le site du Théâtre Vollard
- le site de la revue Kanyar.

jeudi 7 juillet 2016

Qu'importe la leçon, pourvu qu'on ait l'ivresse

Thom J. Tailor et la dessinatrice Ookah reviennent avec le tome 2 de l'imbuvable buveur désabusé de Drink a lol : Électron ivre (voir ma chronique sur le premier tome).
Toujours aussi sarcastique et détestable, on se demande jusqu'où va aller cet anti-héros. Il boit pour oublier son spleen, ne parvient pas à le noyer et ne cesse de planter ses piques, plus cyniques les unes que les autres, à qui s'y frotte.
Il s'entretient parfois avec Dieu et la Mort en personnes, ainsi qu'avec d'autres personnages ou animaux improbables — à moins qu'il s'agisse d'hallucinations ou de ses propres réflexions sur l'absurdité de la vie et de son humour très très noir.
À la fin, son incapacité à être heureux et son addiction à l'alcool feraient presque pitié... Mais il est tellement politiquement incorrect qu'il en est rafraîchissant en cette frileuse époque.

Éditions Marabout, collection Marabulles, 2016, 160 pages.
Le blog Drink a lol. 

lundi 4 juillet 2016

Déchiffrer des lettres

L'écriture de Corinne Lovera Vitali virevolte, volubile et laconique, rebondit, passe du coq à l'âne et revient sur ses pas, puis retombe sur ses pattes.
Le recueil de textes 78 moins 39 nous invite dans un univers fantaisiste et grave, simple et mystérieux, parfois difficile à déchiffrer. Un savant calcul nous échappe par moments entre les chiffres et les lettres, à moins que ce ne soit qu'un jeu avec les mots, le rythme, les sonorités, la ponctuation, les répétitions, le silence dans les pages, le creux dans les histoires, l'absence de folios mais la présence de chiffres jusqu'à 39. Apparemment, le compte est bon.
Mais ce qui compte vraiment est de se laisser porter, de plonger dans une forme poétique, à nulle autre pareille.
File fille indienne nage sage indienne, comme les arbres à moitié sous la terre se dédoublent au-dessus de l'eau, en marchant nous les voyons dans le lac en nageant nous les voyons dans le ciel, personne ne s'en étonne, et mon œil de lynx petit à petit doit grandir.
Les éditions Louise Bottu n'en finissent pas de nous étonner.

Éditions Louise Bottu, 2016, 56 pages.
Le site de Corinne Lovera Vitali.

samedi 2 juillet 2016

Sablet, le village des livres et du vin

C'est une des plus sympathiques manifestations littéraires du Vaucluse, peut-être parce qu'elle fête autant les livres que le vin : la Journée du livre de Sablet.
François de Closets est le parrain de cette 29e édition. Parmi les invités d'honneur, Isabelle Alonso recevra le prix de la Cuvée du livre et Alain Mabanckou le prix Inter-Rhône.
Quant au prix du premier roman, encore secret, il sera décerné à l'un des quatre auteurs suivants : Hubert François et son magnifique Dulmaa (éd. Thierry Marchaisse) ; Eric Le Guilloux Les haines en moins (éd. Daphnis et Chloé) ; Mathieu Menegaux Je me suis tue (éd. Grasset) et Catherine Poulain Le grand marin (éd. de l'Olivier).
Plus de 80 auteurs sont attendus pour bavarder avec les visiteurs, dédicacer leurs ouvrages, lire des extraits, animer des débats ou des conférences sur les places et dans les jardins de ce village provençal, au pied des Dentelles de Montmirail.
Tous les genres sont représentés : littérature, essais, polars, poésie, jeunesse, BD... de quoi faire le plein de livres pour l'été !

Sablet, classé parmi les Côtes du Rhône "Village", est situé entre Gigondas et Séguret, non loin du mont Ventoux.
Samedi 9 juillet de 16 à 20 h.
Dimanche 10 juillet de 10 à 13 h et de 15 à 19 h.