lundi 18 juillet 2016

Emmanuel Genvrin : "Jimi, c'est moi".

Emmanuel Genvrin a fondé le Théâtre Vollard en 1979 à l'île de La Réunion. Il compte à son actif une vingtaine de pièces de théâtre, une multitude de chansons, trois livrets d'opéras et quelques nouvelles parues dans la revue Kanyar. Son premier roman, Rock Sakay, paraîtra à la rentrée chez Gallimard. L'occasion de se pencher sur son parcours d'auteur, populaire et engagé. 


Marie M. : Quelles sont les constantes de ton œuvre ?
Emmanuel Genvrin : Je joue la petite histoire dans la grande. L'intrigue s'insère dans un fond historique et politique, parce que je pense que l'individu, pour être un bon citoyen, doit connaître son histoire et en tirer les leçons. Comme je vis à La Réunion, la plupart des thèmes traitent de l'histoire de cette île et des effets pervers du colonialisme dans les DOM-TOM. De plus, quand j'ai fondé Vollard en 1979, l'histoire locale était totalement négligée. J'ai pensé que mon rôle, en tant qu'auteur, était de mettre à disposition certaines clés. Comme autres constantes, on retrouve des histoires d'amour, de l'humour, du fantastique, de la violence et, si j'étais freudien, des rapports problématiques avec la mère...

MM : À quel public t'adresses-tu ?
EG : Au Théâtre Vollard, nous n'avions pas droit à l'erreur, donc, par choix ou par nécessité, nous étions dans l'obligation d'avoir du succès puisque nous étions, les trois quarts du temps, en bisbille avec les autorités culturelles "officielles". Je pratiquais un théâtre populaire dans le sens de Jean Vilar, c'est-à-dire pour tous. Avec l'opéra, j'ai pensé que mes relations avec le pouvoir changeraient, mais ce ne fut pas le cas. Je suis donc condamné à la rébellion ! Je n'écris pas pour une quelconque élite, je m'adresse à tout le monde. Rock Sakay est un roman d'apprentissage, exotique et populaire, qui fait voyager. C'est un road movie avec beaucoup d'action.


MM : Après le théâtre et l'opéra, pourquoi être passé à l'écriture romanesque ?
EG : Je n'avais plus les moyens de faire du théâtre, ni de l'opéra à temps plein. Notre ami André Pangrani a créé la revue littéraire Kanyar et je me suis mis à écrire des nouvelles, un format qui me convient, avec la densité obligée, le point de vue unique et peu d'introspection. Au départ, Rock Sakay était une nouvelle. Je me suis rendu compte que j'avais beaucoup à dire. De fil en aiguille, c'est devenu un roman, plus précisément un roman-feuilleton puisque chaque chapitre a un titre propre et peut être publié indépendamment. Je l'ai d'ailleurs proposé aux journaux réunionnais, qui n'en n'ont pas voulu. J'ai réintroduit les éléments romanesques, notamment de la psychologie, bien que je n'aime pas les personnages dans le pathos et l'introspection. Je suis pudique par nature et je préfère l'action.

MM : Dans Rock Sakay, il est bien sûr question de rock. La musique a une grande place dans ton œuvre, même avant l'opéra, grâce au concours du compositeur Jean-Luc Trulès.
EG : En effet, d'ailleurs j'ai aussi écrit des chansons toute ma vie. Finalement dans l'écriture c'est la musique des mots et le rythme qui m'intéressent : il faut que ça coule, que ça groove, que le texte puisse être dit. si j'écris vite — deux mois et demi pour le premier jet de Rock Sakay — afin de capter l'élan, l'unité de style et d'énergie, je passe un temps fou à relire et peaufiner. Mais ce travail final est un plaisir pour moi.

MM : Qu'est-ce qui t'a inspiré dans le thème de Rock Sakay ?
EG : Rock Sakay, à l'origine, était un projet d'opéra car c'est un thème riche musicalement, pouvant toucher à la fois La Réunion, Madagascar et la France métropolitaine. Mais comme nous avions déjà du mal, avec Jean-Luc Trulès, à réaliser Fridom, notre troisième opéra, je n'allais pas me lancer dans un nouveau projet... Finalement, ce thème parle de notre parcours, de nos rencontres, de nos voyages... Le personnage principal, Jimi, est un prétexte pour transposer ma vie et mes expériences.

MM : À la manière de Flaubert, tu pourrais dire : "Jimi, c'est moi". 
EG : Exactement ! Mais de façon transposée, bien sûr, car Jimi ressemble plutôt musicalement à Jean-Luc Trulès et physiquement à son fils Tom, car je ne suis pas noir ! Je n'ai pas été héroïnomane, non plus. Mais pour le reste, on va dire que c'est moi.

Lire aussi :
- la chronique de Rock Sakay.
- la page de Rock Sakay sur le site de Gallimard.
- le site du Théâtre Vollard
- le site de la revue Kanyar.

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